[Critique BD] Juan Solo - JODOROWSKY, BESS

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iscarioth
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[Critique BD] Juan Solo - JODOROWSKY, BESS

Message par iscarioth »

Juan Solo

Image

Dessins : Bess
Scénario : Jodorowsky
Editeur : Les Humanoïdes associés
Format : Album, intégrale de 216 pages, grande taille.
Album récompensé par l'Alph art d'Angoulême au scénariste Jodorowsky.


Jodorowsky ?


Est il encore bien nécessaire de présenter Alexandro Jodorowsky ? Rare sont les scénaristes BD jouissant dune notoriété égale à la sienne. Fils démigrants russes et né au Chili, Jodorowsky est popularisé par la série quil co-réalise avec Moebius, « John Difool ». Il est aussi le père dune foultitude de projets à succès, en partenariat avec des dessinateurs toujours différents (« La Caste des Méta-Barons » avec Gimenez, « Face de lune » avec Boucq, « Le Lama Blanc » avec Bess). Dans sa carrière de scénariste BD (il uvre aussi pour le cinéma), « Juan Solo » marque un pic. Cest grâce au premier volume de cette série que Jodorowsky décroche à Angoulême, en janvier 1996, l'Alph'art du meilleur scénario.


Lhistoire

Sur quatre tomes, suivez la biographie au vitriol de Juan Solo, jeune loup haineux dune région pauvre dAmérique du Sud. De lenfance, passée dans les bas fonds moisis dun milieux latino urbain sauvage, jusquà la mort, hiératique, en passant par lascension et la chute au cur de la pègre nationale, suivez les méandres de la vie de ce chien fou.

Sil on se promène sur Internet, et que lon sintéresse aux boutiques, en ligne, proposant de vendre les albums « Juan Solo », on saperçoit rapidement que cette bande dessinée est souvent classée dans la catégorie « policier » ou « thriller ». Nous sommes au cur du problème. Si « Juan Solo » avait été un film, on laurait sûrement classé « dauteur ». Autant dire quil est inclassable. Cest une série qui plaira à coup sûr aux blasés de la BD et du cinéma dit « de genre » avec des personnages manichéens, des « james bond girl » à tous les étages et un héro qui ne tue que pour se défendre. Si vous ne pouvez plus supporter le vide psychologique et labsurdité manichéenne qui animent les personnages de BD telles que « Largo Winch » ou « XIII », « Juan Solo » est une BD faite pour vous.


Juan Solo, héro subversif ?

« Juan Solo » est bien loin de larchétype américain du « bad guy » au grand cur. Si lon doit le comparer à des héros du grand écran, il rappelle plus, dans les deux premiers tomes tout au moins, les héros des films daction américain des années quatre-vingt. Cruel, plus dur que ses ennemis, nhésitant pas à éliminer tout ce qui peut se trouver au travers de son chemin, Juan Solo est sur ce point comparable aux héros fascistes accouchés par lAmérique post-Vietnam. Mais le seul personnage hollywoodien qui semble soutenir la comparaison avec cet arriviste violent quest Juan Solo est certainement « Tony Montana », le personnage créé par Brian DePalma et interprété par Al Pacino dans « Scarface ». Ayant tout deux commencés tout en bas de léchelle sociale criminelle, Tony Montana et Juan Solo, caractérisés par une arrogance et un rapport à la violence inouï, vont peu à peu se hisser, chacun dans leurs univers respectifs, jusquau sommet de la pègre pour se vautrer dans le luxe, avant de connaître une chute vertigineuse. Dans ce cheminement, la seule différence est que, Juan Solo, lui, connaîtra, à sa manière, le repentir


Réalisme ?

« Juan Solo » népargne rien au lecteur : humiliations, viols, meurtres sanglants Le crime est montré sans ombrages, sans tabous. Il en est de même pour la politique. Les politiciens sont montrés comme dhorribles magouilleurs, nhésitant pas à faire massacrer des populations entières pour sassurer la conservation du pouvoir (le deuxième tome de « Juan Solo » est intitulé « les chiens du pouvoir »). La misère du peuple latino-américain est montrée, démontrée, lors de chacun des quatre tomes. Cette dénonciation de la misère sociale, de la corruption politique et de la violence a dautant plus dimpact que, jusquà ses 24 ans, Alexandro Jodorowsky a vécu au Chili, un pays qui ne fait pas figure dexception au cur de cette Amérique du Sud meurtrie. Réalisme social, donc. Mais Jodorowsky ne va pas plus loin. Les noms de ville, les noms des politiciens, le pays dans lequel se déroule laction Tout cela est fictif. Jodorowsky dénonce une situation réelle, avec, comme outil, limaginaire. Sa démarche rappelle celle du cinéaste Francesco Rossi, qui, en 1963, avec son film « Main Basse sur la ville », dénonce larrivisme et la corruption politique qui étouffaient tant la péninsule italienne dalors. Le réalisateur italien avait conclu son film sur ces paroles, qui navaient pas manqué de faire scandale : « Les personnages et les faits présentés ici sont imaginaires. La réalité sociale qui les produit, elle, est authentique ».

En plus des raisons déjà évoquées, dautres choses éloignent « Juan Solo » du type réaliste pur. La série, notamment le quatrième tome, verse beaucoup dans le lyrisme. Des apparitions fantomatiques nous font douter de ce que nous sommes en train de lire. De nombreux éléments, comme la queue de Solo, nous rapprochent à de nombreux moment du genre fantastique. A souligner aussi, dans le style de Jodorowsky, les très nombreuses similitudes entre « Juan Solo » et « dipe Roi », luvre de Sophocle. Mieux vaut ne pas les détailler, pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte de cette série au lecteur de cette critique.


Le dessin de Bess


Le dessin de Bess est on ne peut plus approprié à lhistoire de la série. Il épouse à merveille lodeur nauséeuse et violente qui émane du scénario de Jodorowsky. Bess verse, comme Jodorowsky, dans une description sans concession. Sa plume ne tente pas desthétiser la violence, elle la dévoile crûment. Bess confirme tous ses talents de dessinateur et sadapte à tous les paysages et à tous les personnages. De la décrépitude urbaine des premiers tomes au désert infini du quatrième, son coup de patte est irréprochable. Ce qui ne veut pas dire quil plaira à tous les coups. Mais ceux qui ont apprécié le graphisme de sa précédente série, « Le Lama Blanc » ne pourront pas être déçus.



« Juan Solo » est donc une série à lire. Disponible dans toutes les bonnes bibliothèques, cette BD est toutefois à déconseiller aux âmes sensibles Mais, comme il a été dit plus haut : ennemis du consensualisme et autres puristes de limage « vraie », jetez vous sur ces quatre tomes, à dévorer de toute urgence. « Juan Solo », du premier au dernier tome, est paru entre 1995 et 1999. Mieux vaut, si possible, lire les quatre volumes à la suite. Lédition intégrale, parue chez les Humanoïdes associés en 2002, vous en donne loccasion.


Tome 1 - Fils de Flingue
Tome 2 - Les Chiens du pouvoir
Tome 3 - La Chair et la gale
Tome 4 - Saint Salaud

La note : 10/10
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juro
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Message par juro »

J'avais jeté un coup d'oeil au premier volume et ton avis donne envie de s'y plonger à corps perdu. Très bonne critique :) .
Always over the rainbow
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iscarioth
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Message par iscarioth »

Merci à tous les deux.

Ok, Belfégore, j'explicite "Oedipe Roi" en pv :)
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Lestat
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Message par Lestat »

Je rejoint les avis précédents, une bonne critique :D
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