La Grande Anthologie de la Fantasy [recueil]
Publié : 12 janvier 2005, 16:54
...
très loin,
par-delà les collines
de nos présumées réalités.
En lan deux mille trois de notre monde, un voyageur et unificateur du nom de Duveau, après avoir parcouru dautres réalités, a essayé de rassembler dans un grimoire des récits plus ou moins anciens de quelques Maîtres de la plume. De cette initiative commencée il y a plus de vingt ans est née la légende dune supposée grande anthologie de la Fantasy : quiconque serait en sa possession, déverrouillerait les portes donnant sur les secrets coagulés dans le sang des hommes. Cette légende resta longtemps sans échos. Et sa réalité, évanescente. Jusquà ce quune nuit, perdu au milieu des étagères dune petite librairie Omnibusienne, le sang dun mortel se mit enfin à se régénérer.
A lagonie, ma chair vagabonde sengouffre dans la pénombre. Je parcours les nombreuses étagères éclairées à la simple bougie, cherchant dans le jeu de lumière clair / obscur et lodeur des manuscrits poussiéreux de quoi alimenter mon besoin. Rien ne semble me correspondre. Et soudain, un murmure. Une vibration captivante, qui attire à elle ma substance asséchée. Mes mains maladroites agrippent le lourd ouvrage et loffrent à mon regard avide. Limage de la couverture dabord figée se met soudain à frissonner : un couple damoureux, une sirène et un homme, tendrement enlacés, est bercé par les vagues dune mer inconnue sous le regard du soleil crépusculaire. Une porte dHoward Pyle ouverte sur une passion unique, complexe et contrariée par la distance. Tout un programme
Les quelques mille deux cent pages du grimoire sont de médiocre qualité. Mais lencre débène qui les remplie est dense et généreuse. Après un rapide survol de la table des matières, je remarque que cet épais livre se compose de soixante et onze écrits répartis dans cinq chapitres aux titres intrigants. Un peu plus dune cinquantaine de Maîtres se disputent lespace alloué. Résistant à lenvi de dévorer les nouvelles correspondant à mes gourmandises, je décide finalement de me plier au menu imposé par lunificateur Devau. Je laisserai ainsi lexaltation, la surprise, le banal, et peut-être la lassitude, sentremêler et se rendre complémentaires.
Le Manoir des Roses entraîne dans les doux et magiques flots de la haute fantasy. Ornés de charmants poèmes de Peake proposés également dans leur langue natale, sous le seul regard héroïque de Cugel lastucieux et ses dix-sept vierges, ce Manoir tire son appelation du récit lyrique et sublime de Burnett Swann, mettant un terme à cette première destination qui puise sa force mystérieuse aux sources du genre : le fantastique et le merveilleux.
Après ce voyage relativement frais et calme, le temps de la frénésie guerrière, robuste et barbare. La Citadelle Ecarlate catapulte ses personnages dans le percutant, le conflit manichéen, lhéroic fantasy. Là où le Thongor de Carter, le Kull de Howard, les Fafhrd et Souricier gris de Lieber, le Elric de Moorcock, ou le Dilvish de Zelazny, sont trimbalés dans des contrées périlleuses, hantées par danciens démons presque oubliés. Pas vraiment de surprises ni de révélations à attendre de ces histoires copieuses, si ce nest le récit imprévu du Maître Wells et sa plaine des araignées. Cauchemardesque et saignante à souhait.
La Cathédrale de Sang sort des sentiers classiques et télétransporte les restes des anciens combattants vers les univers hybrides à la E.R. Burroughs, mélange plus ou moins habile de science-fiction et de fantasy. Lincursion dans le monde de cette troisième portion se révèle étonnante et exotique, confrontant magie et science, le tout illuminé par linterminable lutte des faiseurs de miracles de Vance, et les perfides maîtres de Le Guin, détenteurs des vérités. Les saveurs de cette science fantasy sont parfois indigestes pour qui aiment les frontières clairement établies. Mais il nempêche que lalchimie fonctionne et nous incite à en redemander.
La Dame des Crânes simmisce singulièrement dans louvrage, structuré autour de catégories de la Fantasy, et met à lhonneur la plume féminine. Un monde plus profond et parfois plus violent, moins caricatural, et totalement inspirant pour les apprentis littérateurs. Ces récits, souvent tirés dautres recueils, tendent à souligner avec succès les talents des Bradley, Cherryh ou Lackey, parmi dautres. On plonge dans la genèse de leur univers respectif, découvrant les secrets des origines de leurs guerrières, ou lon rencontre de nouveaux caractères impitoyables. En tournant la dernière page de ce vif panorama, on ne peut que regretter que cette Dame, fleur du grimoire inspirée par la très belle nouvelle de McKillip, se fane bien trop vite pour laisser son parfum perdurer.
Le Monde des Chimères est lultime rivage. Hommage aux Maîtres fondateurs qui ont ouvert la brèche encore récente du monde de la Fantasy et dans laquelle beaucoup se sont engouffrés, ravitaillant le genre. On assiste donc au télescopage de styles, dambiances, d'idées inspirées ou plagiées. Du rêve, du romantisme, de lironie, de la décadence, de lhorrible. Un dernier chapitre qui se veut prolongeant tous les précédents, et faire durer un peu plus le plaisir, sans pour autant nous noyer dans la lassitude. Le bouquet final, un tantinet convenu, mettra en lumière le démiurge Tolkien et son Stone Troll, poème issue de la Terre du Milieu, endroit même où Bombadil semble nêtre quun puissant touriste de passage.
Les cinq parties ont livré leurs secrets. Les dernières feuilles indexées soulignent lensemble des Maîtres de la Fantasy, quils aient composé dans ce grimoire ou tout juste été cités. Certes, les perfectionnistes diront quil manque les textes de quelques Maîtres pour en faire une référence légendaire et jentends déjà crier au loin que la plume burlesque de Pratchett aurait dû gratter quelques pages. On perçoit aussi quau milieu de ce rassemblement, le choc anthologique laisse derrière lui certains petits éclats dirrégularité. Si bien que dans la bataille littéraire, des Maîtres de divers horizons (majoritairement anglo-saxons et sporadiquement français) en ressortent sublimés, ou légèrement terrassés par leurs pairs. Pas facile de composer avec autant dingrédients disparates.
Mais quantité et qualité ont cherché réellement à être forgées ensemble. Malgré dinfimes erreurs et problèmes de traductions, chaque partie est raisonnablement bien préfacée. Et chaque nouvelle et son Maître convenablement bien présentés. Le savoir quil soit novice ou expert est souvent affûté, les récits foisonnants remis dans leur contexte. Les liaisons entre chaque histoire ont été pensées de manière à simuler la variété tout en gardant une cohérence savoureuse. Tout ceci fait une initiation convenable pour qui cherche à connaître et comprendre certains aspects de la Fantasy. Un travail de synthèse finalement jugé rassasiant par mon organisme.
Lenvi de replonger dans ce grimoire pour abreuver mes gourmandises demeurera quelque temps dans un coin de ma tête. Jy retournerai sans doute lorsque mon sang se sera appauvrie. En attendant ce moment paradoxalement salutaire et fatidique, mes mains reposent le grimoire sur son étagère. Le murmure me libère alors de son étreinte. Mes veines sont suffisamment gorgées de vie pour que je retourne à ma réalité, laissant derrière moi les uvres de la petite librairie Omnibusienne. Encore nostalgique et gavé de ces aventures vécues par procuration, je décide de figer mes modestes émotions rudimentaires sur un quelconque parchemin. Il faut juste que je trouve mon entame.
Jai été le témoin,
de mes yeux réveillés,
dune corpulente chronique,
...