Voilà... pile poil pour la fête du travail.
Trepalium
Il n'était pas encore huit heure qu'il était réveillé. Allongé sur son matelas mono-place, dans son studio du 36 ème étage de la tour Everest, Jim réfléchissait. Les rayons de l'aube s'insinuaient entre les stores vénitiens, après avoir ricoché entre les tours de verres cylindriques.
« C'est la merde. Je ne peux pas continuer comme ça, il me faut un job. 'tin, quatrième année d'informatique quantique, et tout ce qu'on me propose, c'est de faire la plonge dans un resto chinois le samedi soir. C'est pas possible ça, pensa-t-il en se levant. » Le détecteur de mouvement activa l'écran mural panoramique. Les informations télévisées passaient en vitesse, montrant des accidents de circulation, des incendies, des personnes traumatisées, des inondations. Jim appuya sur sa télécommande lumineuse pour passer la vidéo d'un aquarium japonais à la place, sur fond de musique relaxante. Il se dirigea vers le coin cuisine, ouvrit le frigo, et en sorti le pot de confiture de figues « à l'ancienne ». Il pris un morceau de baguette certifié farine de blé authentique, se prépara un café 40% pur arabica naturel, et entama son petit déjeuné.
L'écran et sa télécommande se mirent à faire de petits flash successif, indiquant la réception d'un message. Il appuya sur sa télécommande, et le message apparue textuellement, en transparence sur le fond de l'aquarium. Une voix féminine synthétique se fit entendre :
« Message reçu aujourd'hui à 8 heures 39.
Monsieur Moson,
Malgré l'intérêt de votre candidature, nous sommes au regret de vous annoncer que le poste est déjà pourvu. Toutefois, nous gardons votre CV et nous vous tiendrons informés au cas où un poste venait à se libérer.
Cordialement,
M. Dutilleul
IAMAF Institut Agro-alimentaire et Médical d'Astrophysique Français.
Nouveau Message, reçu aujourd'hui, à 7 heures 02.
Monsieur Moson,
Nous vous remercions de l'intérêt que vous portez à notre entreprise.
Cependant, malgré la qualité de votre candidature, nous ne pouvons lui donner suite favorable.
En vous souhaitant une réussite dans votre recherche d'emploi,
M. Dubosc
FNIA Fédération Nationale d'Instrumentation Algébrique
Nouveau message, reçu hier, à 23 heures 43.
Hi Jim,
This is Tara. How do you do ? I hope you're well, and than the weather at Bordeaux is shining. Here, at Sydney, the weather is awfull, it's so cold, and always raining. Do you have found a job ? Me, I'm still working in a hospital. I hate this job, my boss is so stupid. A real dick-head. I hope found a new job soon. Send me a message,
xxx.
Tara.
Fin des messages. Menu principal.
_Ordinateur ! Dit fortement Jim.
_Mode vocal enclenché.
_Commande répondre trois.
_Répondre au message, à Tara arobase yagool dot com.
_Dear Tara, I'm fine thank you. Here at Bordeaux, it still shining. Yeah, a great time to do surfing. But well, I'm still looking for a job, and nothing very interresting is offer by the moment. Commande. Merde. Cocommande efface jusqu'à offer.
_Effacement jusqu'à offer.
_At the moment. No mater if you're boss is a dick-head.
_dickhead, mot inconnu du dictionnaire anglais. Est-ce duck's head? donky's head? dick's head?
_Cocomande ignore.
_Mot ignoré.
_Well, have a nice day. Jim. Cocomande fin.
_Fin du mode édition. Relire le message?
_Commande envoyer.
_Message envoyé.
_Commande quitter. »
L'écran redevint un paisible aquarium. Un petit poisson doré à grosses joues ouvrait béatement sa bouche. Jim se prépara pour son entretient de onze heures.
Les véhicules aériens sillonnent les airs, créant de vastes nuages filiformes projetant des zones d'ombres presque totales lors des heures d'affluences. Aussi, il n'est pas rare que vers midi les lampes soient allumées en basse-ville. Jim était là, en chemisette bleue chromée, les mains dans les poches de son jean synthétique, patientant à l'arrêt de l'aérobus, parmi d'autres quidam moroses et silencieux. Ses écouteurs passant le dernier tube des BB3K, les Beach Boys de l'an 3 000, un groupe de ska à la mode. L'aérobus arriva dans un souffle qui les fit reculer d'un pas. Les portes s'ouvrirent et il alla s'asseoir à un siège pas trop taggé. Les parois semis-transparentes laissaient apercevoir de toute part l'étendue de la basse-ville, faite de petits magasins délabrés, de restaurants chinois, de ruelles étroites bondées, au pied des tours d'habitation sans fin, tandis que l'aérobus entrait sur les autoroutes balisées et que des aéronefs passaient de part et d'autre en klaxonnant.
« Bonjour, je viens pour le poste de ... , il n'arriva pas à finir sa phrase.
Installez vous, le chef va vous recevoir, dit prestement la jeune hôtesse d'accueil du Dragon d'or, en tailleur chinois écarlate, en lui indiquant les trois petites chaises d'un étroit couloir jouxtant la salle principale, au pied d'un escalier illuminé d'une lumière blafarde. Les sons de la cuisine parvenais du fond du couloir, les murs suintant la vapeur d'eau et l'odeur de friture emplissant toute la cage d'escalier. Une porte au dessus s'ouvrit brusquement et un homme asiatique costaud apparut, en débardeur et pantalon jaune à rayure.
_Montez. C'est pour le job c'est ça ?
_Oui oui... dit Jim d'un ton peu assuré. »
« Voilà, asseyez-vous à cette place, ma femme et moi allons vous poser quelques questions.
Tout d'abord, votre CV, il est intéressant, mais est-ce que ça convient pour un emploi de cuisine ? Dis le patron, en s'asseyant derrière son bureau, à la droite de sa femme qui croisait les bras d'un air de dédain.
_C'est à dire que j'en ai besoin. Je n'ai pas trop le choix vous voyez.
_Mais d'après votre CV, vous n'avez jamais travaillé en cuisine.
_C'est pas grave, je sais faire, ça ne doit pas être compliqué.
_Mais il y a la vaisselle, faut pas la casser, c'est pas un travail de débutant.
_Mais enfin, j'ai un niveau bac + 4, ça doit être moins compliqué que de résoudre... il préféra éviter de continuer sa phrase.
_On vous demande pas de travailler des méninges, mais de faire la plonge, vous voyez, or vous n'avez jamais travaillé de vos mains.
_Mais enfin... c'est juste un petit boulo... je veux dire, je le ferais.
Soudain, la petite patronne décroisa les bras et dit, d'une voix nerveuse :
_Pourquoi nous vous engager? Pourquoi vous pas un autre ? Chinois moins cher. Qu'est-ce que vous, nous apporter ?
Jim n'en crus pas ses oreilles, décontenancé il répondit :
_C'est-à-dire... j'ai besoin d'un travail et c'est l'agence de l'emploi qui m'envoi, dit-il. Mais qu'est-ce que je fais là ? Pensa-t-il. Pris de panique sur un flash dans lequel il se voyait épuisé et nettoyant la vaisselle comme un forçat, sous les ordres de ces deux tyrans, Jim angoissa.
_Bon, vous m'avez l'air de quelqu'un de sérieux.
_Moi pas confiance, dit-elle.
_Quels sont les horaires ?
_Le matin six heures, deux heures, le soir six heures, dix heures. Le matin il faut tout nettoyer. Tout clean. Le soir aussi. Tout clean.
_je... heu... et la paye ?
_payé SMIC, dit-elle. 4 Euros heures.
Jim eu un tremblement involontaire des jambes.
_Et le week-end ?
_Samedi et Dimanche compris. Nous pas chômer.
_Vous n'avez pas d'autres questions ? Repris le patron.
_non, je n'en ai pas d'autres.
_C'est bon, vous pouvez attendre derrière la porte, nous allons délibérer. »
Jim réussis à se lever, et titubant légèrement, sortit en fermant doucement la porte. Puis il descendit les escaliers sur la pointe des pieds. Il continua à marcher en faisant le moins de bruit possible. En passant devant l'hôtesse, il s'efforça de prendre un visage serein en inclinant la tête. Au revoir, dit-elle. Pivotant vers elle, il inclina une nouvelle fois la tête en cherchant la porte de sortie de dos. Il crut entendre la porte du patron s'ouvrir alors qu'il sortait, et pressa le pas jusqu'à l'arrêt de l'aérobus.
Ah mince, ils ont mon CV et mon adresse. Ils vont sûrement me téléphoner. Ils doivent bien imaginer que je ne veux pas bosser chez eux. Ils vont quand même pas oser me téléphoner, pensa-t-il pour se rassurer. Son téléphone sonna.
« Oui ?
_Vous venir demain 6 heures, si vous pas là, nous prendre quelqu'un d'autre. Vous venir ?
_Oui, je viendrais. Je vous remercie.
_Pas de problèmes.
_A demain. »
Une brise souffla légèrement, faisant tousser les sans-abris étalés de part et d'autres des recoins sombres. Finalement, ça vaut mieux, pensa-t-il, une larme à l'il.
Protos