Cloverfield - Critique
Publié : 10 février 2008, 13:22
CLOVERFIELD
2008, de Matt Reeves
Dernière production de J. J. Abrams (créateur de Lost), Cloverfield fut révélé l’été dernier par un teaser complètement dingue, qui ne pouvait inspirer que des « Putain mais qu’est-ce que c’est que ce TRUC ? » et autres « Rhâââ » complètement addictifs. Car la vidéo montrait un truc de fou… mais sans le montrer. Cloverfield
fit immédiatement un effet bœuf et Abrams sut parfaitement gérer le
marketing de son film, viral. Preuve en est : la réalisation de faux JT
diffusés sur Internet, relatant de spectaculaires événements pour
introduire son film.
La pression est montée en flèche et, très vite, Cloverfield est étiqueté « best monster movie ever ».
Car oui, il s’agit bien d’un film de monstre, et pourtant rien n’a
filtré : la gueule du bestiau est classée « secret défense », mieux
gardée que la réserve d’or fédéral des Etats-Unis. Les fake
se multiplient sur internet, impossible de savoir ce qui est fiable ou
non. Que les victimes de la « spoile à frire » se rassurent : si
d’aventures vous auriez entrevu le bon design sur le net, la créature,
telle qu’elle est montrée dans le film, reste l’une des surprises les
plus dingues de ces dernières années.
Cloverfield se
présente comme une vidéo, propriété du gouvernement des Etats-Unis,
censément retrouvée dans les décombres d’un endroit autrefois appelé
« Central Park ». Le ton est donné : le film nous propose d’assister à
l’apocalypse, filmée par une petite caméra amateur. Le pari est osé :
faire un film catastrophe avec un monstre de la taille d’un gratte-ciel
et ne le présenter que par ce procédé forcément réducteur. Alors, bien
sûr, ladite caméra amateur ne l’est pas totalement : même si l’objectif
se salit, elle semble indestructible et ne tombe jamais en panne de
batterie, contrairement aux téléphones… Mais à part ça, le réalisateur
Matt Reeves ne fait aucune concession au principe. Pas de musique, pas
de plans larges, aucune image léchée. Le cadrage est bordélique,
l’image saute, on ne voit rien. Oui, ils ont osé : Abrams et Reeves
croient tellement en la force de leur procédé qu’ils n’hésitent pas à
dépenser des dizaines de millions de dollars dans des effets spéciaux
proprement démentiels, pour les massacrer ensuite avec un cadrage
erratique et une caméra plus agitée qu’un shaker entre les mains d’un
barman. Epileptiques et nauséeux, s’abstenir. Pour apprécier Cloverfield,
il faut avoir la force de supporter toute cette agitation sans se
désintégrer les yeux – c’est une première : un film de cinéma
potentiellement plus supportable à la télévision…
Ceux dont la physiologie oculaire tiendra le coup sans causer d’irréparables dommages
au cerveau seront aux anges : Cloverfield
est haletant. Ca commence par une petite fête branchée, où des amis
fêtent le départ à l’étranger de l’un d’entre eux. Et ça dure :
l’exposition est longue, absolument pas traitée par-dessus la jambe. Si
bien que l’on en oublie presque que la situation est appelée à
dégénérer, et lorsque ça arrive enfin, on est sur le cul. Les gens
déambulent dans les rues, les immeubles s’effondrent, la poussière
vole, la panique est totale. Cloverfield
enchaîne les morceaux de bravoure lorsqu’il s’agit de détruire
Manhattan. Il y a clairement un arrière-goût de 11-Septembre là
dedans : des images incroyables, terriblement réelles, prises sur le
fait par cette caméra amateur. En fait, Cloverfield, c’est un petit peu comme les premières minutes de la Guerre des mondes
de Steven Spielberg, qui aurait été étirées sur un métrage tout entier.
Des militaires surgissent soudain de nulle part, et des roquettes
volent dans tous les sens. La bête hurle. Est-elle amochée ? On n'en
sait rien.
Quand
la bête est là, on ne la voit presque pas, tant elle est gigantesque,
et aussi parce que ce n’est évidemment pas cadré. Et le drame continue.
Au fur et à mesure, le monstre se dévoile un peu plus, et chaque
nouvelle apparition est plus dingue que la précédente. C’est aussi
excitant que frustrant. Et même lorsque la caméra filme un écran HD
diffusant le JT et les images de la bête, on n’en sait pas beaucoup
plus. C’est tout simplement diabolique. Et pendant qu’on ne voit pas le
monstre, on l’entend. Un cri horrible, entêtant.
Que
l’on se rassure : il n’y a pas foutage de gueule, la bête finira par se
révéler, mais c’est tellement bien pensé qu’au final, bien malin qui
pourra la décrire ou même simplement pouvoir dire si la saloperie était
bipède… ou autre. Le pari était osé, et il est bel et bien remporté. Cloverfield fait mal au crâne, attise,
frustre, dévoile et, au final, le procédé est beaucoup plus excitant
que de montrer la grosse bête avec force détails en gros plan. La mise
en scène de Cloverfield, malgré son inconfort total, est d’une rare intelligence. Matt Reeves parvient même à caser de minuscules flash-back sans
porter atteinte au concept. Il fallait le faire…
Le scénario est minimaliste : une grosse bête détruit Manhattan. Mais Cloverfield n’est absolument pas un film stupide, non, il est « juste » vide de toute explication. Il ne s’agit pas
d’un film cérébral ; Cloverfield
est une expérience sensorielle – à ce niveau, ça n’est peut-être même
plus du Cinéma. C’est une catastrophe monumentale montrée par la plus
petite des lorgnettes. C’est un test : peut-on décemment faire un film
de ce type ? Même si un raz de marée de billets verts a été déclenché
par la sortie de Cloverfield, la réponse n’est pas
forcément « oui » : le film se suffit à lui-même, qui osera refaire un truc pareil ? Qui ira même revoir un truc pareil (à part moi, bien sûr) ? Les producteurs, Abrams en tête, pensent
avoir la réponse : une suite semble prévue. Quoiqu’il en soit, en l’état, Cloverfield est déjà un aboutissement.