Yôko Ogawa ?
Publié : 30 novembre 2008, 10:43
On m'a offert à Noël dernier un coffret Yôko Ogawa, dite l'une des plus
grandes auteures contemporaines et qui a obtenu de nombreux prix pour ses (souvent
courts) romans. J'avais commencé par Le
réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, daté de 1991, à cause de
son titre (traduit).
Quelques semaines avant son mariage, une jeune femme
rencontrait un homme et son fils, devant une école. La conversation s'engage
avec le père qui lui raconte qu'un réfectoire lui fait penser à une piscine
sous la pluie. C'est la mélancolie de l'ensemble, déjà présente dans le titre,
beaucoup moins dans le début de l'histoire puisque la jeune femme doit se
marier, qui m'avait frappée. En plongeant dans le livre, on plonge dans un
tableau, une image à la fois fixe et mouvante qui coupe du temps extérieur
pendant la lecture. Et, sans qu'on sache bien pourquoi, on termine dans un état
second, mélange de mélancolie et d'apaisement.
Cette mélancolie, je ne l'ai pas tout à fait retrouvée dans L'annulaire, publié en 1994. En revanche, j'y ai retrouvé le calme et la lenteur qui en font un récit apaisant et enivrant. Une jeune
femme, la narratrice, s'est coupé un bout de l'annulaire gauche dans l'usine de
fabrication de boissons gazeuses où elle travaillait. Cherchant un autre
travail, elle se retrouve embauchée par M. Deshimaru, dans un ancien couvent où
demeurent toujours deux dames âgées et un piano. Le livre raconte une année
dans cet établissement étrange, M. Deshimaru fabrique des spécimens à partir
des souvenirs que les clients veulent conserver en même temps qu'oublier :
des champignons poussés sur le lieu d'un incendie où ont péri trois membres d'une
famille (seule la fille s'en sort, au prix d'une légère brûlure sur la joue),
le son d'une partition, des plantes...Occupée à rassurer les clients, à remplir
des papiers, la narratrice est également de plus en plus fascinée par son
employeur qui, lui-même, l'invite parfois, le soir, dans la salle de bains
immense de l'immeuble où il la déshabille dans la baignoire. Jusqu'au jour où
il lui offre des chaussures qui lui vont si bien qu'elles semblent greffées à
ses pieds. La fascination vire à l'obsession - une obsession sur laquelle plane
l'ombre du bout d'annulaire perdu.
Le huis-clos hors du monde et hors du temps ajoute au non-dit, à l'onirisme
de ces spécimens enfermés dans des tubes à essais puis classés dans des
tiroirs, des pièces entières de souvenirs qu'on veut paradoxalement oublier sans
faire disparaître. L'atmosphère devient étouffante, soulignée de temps en temps
par le son du piano de la vieille dame mourante du 309, rescapée du couvent. Un
son presque menaçant, à l'image de Deshimaru qui ne cesse de transformer les
souvenirs et les gens en objets, jusqu'à son employée qu'il réduit à une paire
de chaussures. De fil en aiguille, nous reconstituons le mystère qu'offraient
les spécimens du début, nous parcourons les pensées de la narratrice et l'oppression
de l'histoire jusqu'à une fin presque aussi prévisible que mise en suspens.
Subsiste alors nos impressions, nos questions et notre malaise.
Petit extrait pour faire partager ce style à ceux qui n'auraient pas
lu et que ça intéresserait (ou pour le remettre en mémoire aux autres) :
« A l'intérieur ce n'était pas
aussi délabré que je le croyais. Dans le vestiaire, le pèse-personne, les
armoires fermées à clef et les paniers à vêtements en rotin étaient en bon
état, tandis que dans la salle de bains, les miroirs, les robinets et le
carrelage bleu étaient encore propres. J'avais l'impression qu'on aurait pu
tout de suite l'utiliser. Simplement, le fond de la baignoire était tellement
sec qu'il semblait recouvert d'une couche de poudre blanche, et il flottait sur
l'ensemble désert un parfum de désolation.
Nous nous sommes
assis l'un à côté de l'autre sur le rebord de la baignoire. Grâce à la
fraîcheur des carreaux et au courant d'air qui arrivait par un vasistas, il y
faisait beaucoup plus frais qu'à la réception.
- Ici, c'est mon lieu de repos secret. C'est la première fois que j'y invite
une femme.
Sa voix avait de l'écho et n'en finissait pas de résonner jusqu'au plafond.
- J'en suis très honorée.
La mienne s'est lancée à sa poursuite pour la rejoindre dans un coin du plafond. »
Si vous avez d'autres titres intéressants, je suis preneuse. ^^
grandes auteures contemporaines et qui a obtenu de nombreux prix pour ses (souvent
courts) romans. J'avais commencé par Le
réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, daté de 1991, à cause de
son titre (traduit).
Quelques semaines avant son mariage, une jeune femme
rencontrait un homme et son fils, devant une école. La conversation s'engage
avec le père qui lui raconte qu'un réfectoire lui fait penser à une piscine
sous la pluie. C'est la mélancolie de l'ensemble, déjà présente dans le titre,
beaucoup moins dans le début de l'histoire puisque la jeune femme doit se
marier, qui m'avait frappée. En plongeant dans le livre, on plonge dans un
tableau, une image à la fois fixe et mouvante qui coupe du temps extérieur
pendant la lecture. Et, sans qu'on sache bien pourquoi, on termine dans un état
second, mélange de mélancolie et d'apaisement.
Cette mélancolie, je ne l'ai pas tout à fait retrouvée dans L'annulaire, publié en 1994. En revanche, j'y ai retrouvé le calme et la lenteur qui en font un récit apaisant et enivrant. Une jeune
femme, la narratrice, s'est coupé un bout de l'annulaire gauche dans l'usine de
fabrication de boissons gazeuses où elle travaillait. Cherchant un autre
travail, elle se retrouve embauchée par M. Deshimaru, dans un ancien couvent où
demeurent toujours deux dames âgées et un piano. Le livre raconte une année
dans cet établissement étrange, M. Deshimaru fabrique des spécimens à partir
des souvenirs que les clients veulent conserver en même temps qu'oublier :
des champignons poussés sur le lieu d'un incendie où ont péri trois membres d'une
famille (seule la fille s'en sort, au prix d'une légère brûlure sur la joue),
le son d'une partition, des plantes...Occupée à rassurer les clients, à remplir
des papiers, la narratrice est également de plus en plus fascinée par son
employeur qui, lui-même, l'invite parfois, le soir, dans la salle de bains
immense de l'immeuble où il la déshabille dans la baignoire. Jusqu'au jour où
il lui offre des chaussures qui lui vont si bien qu'elles semblent greffées à
ses pieds. La fascination vire à l'obsession - une obsession sur laquelle plane
l'ombre du bout d'annulaire perdu.
Le huis-clos hors du monde et hors du temps ajoute au non-dit, à l'onirisme
de ces spécimens enfermés dans des tubes à essais puis classés dans des
tiroirs, des pièces entières de souvenirs qu'on veut paradoxalement oublier sans
faire disparaître. L'atmosphère devient étouffante, soulignée de temps en temps
par le son du piano de la vieille dame mourante du 309, rescapée du couvent. Un
son presque menaçant, à l'image de Deshimaru qui ne cesse de transformer les
souvenirs et les gens en objets, jusqu'à son employée qu'il réduit à une paire
de chaussures. De fil en aiguille, nous reconstituons le mystère qu'offraient
les spécimens du début, nous parcourons les pensées de la narratrice et l'oppression
de l'histoire jusqu'à une fin presque aussi prévisible que mise en suspens.
Subsiste alors nos impressions, nos questions et notre malaise.
Petit extrait pour faire partager ce style à ceux qui n'auraient pas
lu et que ça intéresserait (ou pour le remettre en mémoire aux autres) :
« A l'intérieur ce n'était pas
aussi délabré que je le croyais. Dans le vestiaire, le pèse-personne, les
armoires fermées à clef et les paniers à vêtements en rotin étaient en bon
état, tandis que dans la salle de bains, les miroirs, les robinets et le
carrelage bleu étaient encore propres. J'avais l'impression qu'on aurait pu
tout de suite l'utiliser. Simplement, le fond de la baignoire était tellement
sec qu'il semblait recouvert d'une couche de poudre blanche, et il flottait sur
l'ensemble désert un parfum de désolation.
Nous nous sommes
assis l'un à côté de l'autre sur le rebord de la baignoire. Grâce à la
fraîcheur des carreaux et au courant d'air qui arrivait par un vasistas, il y
faisait beaucoup plus frais qu'à la réception.
- Ici, c'est mon lieu de repos secret. C'est la première fois que j'y invite
une femme.
Sa voix avait de l'écho et n'en finissait pas de résonner jusqu'au plafond.
- J'en suis très honorée.
La mienne s'est lancée à sa poursuite pour la rejoindre dans un coin du plafond. »
Si vous avez d'autres titres intéressants, je suis preneuse. ^^