HISTOIRES DE CERCLE - Extrait Offert : Sursis au soleil

cercle
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HISTOIRES DE CERCLE - Extrait Offert : Sursis au soleil

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Né à Perpignan en 1974, Emmanuel Sabatie est actuellement en Doctorat de sociologie. A côté de ses études scientifiques, il consacre la majeure partie de son temps à lécriture et à la poésie. Il est remarqué en octobre 2003 lors des 61ième jeux Littéraires Méditerranéens où il est récompensé du prix Gaston Baissette de la Nouvelle, pour « Sursis au soleil » qui ouvre ici son recueil de 7 nouvelles construites chacune en 7 chapitres.

Résumé du recueil HISTOIRES DE CERCLE : « Un homme reclus et peut être recherché ; un vieil homme et son chien ; un ingénieur informatique qui se souciait trop peu de sa femme ; un manuscrit qui exige la réalité de lauteur ; la vie dun « poilu » et son retour à la ferme ; et enfin ces harkis oubliés et honnis, voici ce qui forme ce premier recueil. Tranches de vies souvent noires, qui nous amènent à toucher du doigt, des réalités parfois incongrues, parfois oubliées. »


Premier Extrait Offert : Sursis au soleil



SURSIS AU SOLEIL

I
Le lustre ventilo tourne à plein régime. Harry na pas bougé de sa chambre dhôtel depuis douze heures. Des crampes lui remontent du bas des chevilles jusquà la nuque, en passant par les aléas imparfaits de son dos. Il est prés de la fenêtre, assis sur une chaise élimée en bois. Une table de chevet et un lit sans matelas saccouplent au design désuet de la pièce vétuste. Harry regarde sans cesse dun il alerté en direction de la rue. Poussière grise envahissant à moitié le bitume défoncé, des oiseaux noirs se posent sur des fils électriques. Les poteaux électriques sont faits de bois et seulement distant chacun de quelques mètres. Cette rue est remplie aussi de poubelles débordant de merde. Et il y a enfin ce banc à lombre avec un vieux posé dessus. Le vieux ne bouge pas et ne relève pas sa tête qui reste fixée au sol. Le bitume renvoie un brouillard de feu. Le soleil brûle la peau et le vieux sen protège comme tous les gens dici. Peur du soleil, personne ne sort laprès-midi. Seul ces corbeaux posés sur un fil et ce vieux assis sur un banc à lombre, sincarnent pour vrai dans ce tableau sombre. Il sait maintenant que le BOSS va débarquer dun instant à lautre. Son cur saccélère. Sa main va et vient sans cesse de lavant bras au menton. Son corps sursaute comme par à coups et ses dents se resserrent idem à un étau de fer. Harry est un homme qui na pas dormi depuis deux jours. Il pue. Le temps mécanique du réveil foirfouille dans sa tête comme un tic tac tautologique. Etape du parcours du condamné tic tac. Si Harry ne connaît pas la peur, cest quil navait jamais jusque là affronter la mort. Face à lui, il nest pourtant rien, à lexception de cet air rempli de rien et envahissant chaque recoin de la pièce. Lourd et pesant, il se diffuse à petite dose, infecté de cette présence absente de chair. Harry a les traits du visage tendus. Dans ses yeux, des lignes électrifiées dun rouge sang semblent se mouvoir pareilles à celles dun fumeur de hash. Ses sourcils ondulent sur son visage oblong en des expressions saccadées si contradictoires, quelles en expriment la folie.
« Je vais pas mourir » est la seule phrase qui affecte sa raison.
La survie face à la mort ...
« Je veux pas mourir ! »

II
Une semaine avant quil finisse dans cet hôtel pouilleux, Harry sétait rendu à Alicante dans le Sud de lEspagne sur les ordres du BOSS. Il avait été engagé comme négociateur pour y régler une embrouille de cartons de cigarettes. Cela devait être exécuté au plus vite. Il y en avait pour plus dun million deuros. La marchandise avait peut-être déjà été convoyée vers un autre port ; personne nen savait rien. Harry avait donc pour mission de constater sur place les rumeurs. Dans le quartier des belles résidences, il devait rencontrer Thomas Nortschtlid, un Allemand dorigine juive. Un avion privé en direction de New York, repartant le soir même, avait été réservé à laéroport de Malaga par les intermédiaires du BOSS. Seulement, ce qui aurait dû normalement se passer ne sest pas déroulé comme convenu. Certes, le juif et deux de ses gorilles étaient bien là au rendez-vous. Mais les poulets avaient rameuté aussi leurs fesses. Ils les guettaient, planqués en civil ou dissimulés dans la foule. Cette flicaille attendait le moment opportun pour intervenir. Lexpérience dHarry le plaçait dans une situation quil avait déjà connue maintes fois. Il pouvait renifler un flic à 200 mètres. Une tête de poulet, et surtout une odeur de poulet, néchappent pas à lexpérience dun vieux gangster. Mais ce nest pas les flics qui alimentaient son angoisse. Des goûtes de sueurs perlaient à lorne de ses sourcils. Ses yeux ne regardaient plus en face. Harry se retourna brusquement, plusieurs fois, comme si une main de jeune femme lui caressait la nuque. Certes, les flics en civil, il les voyait dans des voitures banalisées ou en couple idéal sur une terrasse de café mais il sentait quelque chose de plus fort que la présence policière. Il la vu alors du coin de lil. Comme une ombre de chair qui marchait juste à quelques mètres derrière lui. Une voix monocorde et incompréhensible faisait écho en même temps dans sa tête. Et à chaque pas, il semblait quon lui cajolait tendrement la nuque ; un peu à la manière de son père quant il était petit, lui tapotant fièrement lépaule pour le féliciter de ses compétences sportives dans léquipe de Base Ball locale de Stress Fich. Mais ce nest plus la nuque que la chose touchait maintenant, mais son cou. Une main invisible forçait peu à peu létreinte. Du sang commença à couler du coin de sa bouche. Puis lair a soudainement manqué. Harry est devenu comme fou. Sa respiration sest affolée dans un halo saccadé et convulsif. Ses bras se sont agités à linstar de ceux dun pantin. A quelques mètres du juif, il a alors sorti son pétard et tiré trois coups. La tête du caïd est venue embrasser le trottoir, le sang se répandant jusquau pieds du meurtrier. Il venait de buter celui qui fut pendant prés de 10 ans, le meilleur allié du BOSS. Harry a eu cependant le temps de fuir jusquà une petite rue isolée. Une poubelle bouchait limpasse. Il y est resté planqué plus de six heures, pour ne sortir quune fois la nuit tombée.

III
Cela fait maintenant sept jours quil croupit dans cette chambre à demi-nue. Il ne sest pas rendu à laéroport. Harry a peur. Lavion a décollé sans lui. Peur de se faire buter à son tour. Et il repense à cette ombre venue pour létrangler et le rendre fou. Thomas Nortschtild, ce putain de juif est mort. Depuis, le BOSS ne la pas rappelé. Aucune nouvelle. Harry est toujours coincé dans ce bled paumé. En espérant que ce ne soit pas la mort qui frappe à la porte ou qui déambule au coin de la rue. « Si jai tiré cest à cause de lombre ! » Linstinct a été plus fort que la raison. Mais un singe agit aussi par instinct rétorquerait le BOSS. Il mate une nouvelle fois par la fenêtre. Rien, sinon un vieil espagnol assis sur son banc. Il semble dormir et ses bras reposent en balance sur sa canne. « Le BOSS fait parfois exception à la règle » se dit Harry. « Jai descendu le juif mais peut-être aurais-je un sursis ? Peut-être ne vais-je pas mourir ? »

IV
Jaune et pisseux. Le plafond est comme les murs. Jaune et pisseux. Harry est toujours fixé à sa chaise. Des phrases en Espagnol lui reviennent au hasard de ses pensées, sans quil ne comprenne un seul mot de cette langue qui va trop vite pour un Américain exilé. Tout ici va de toute façon trop vite. Jusquà la mort qui semble se rapprocher dheures en heures. De minutes en minutes. Le BOSS est là ! Présent. Derrière Harry. Sous le lit. Ou peut-être même sous ses semelles. Lhomme au visage inconnu est partout avec lui sans quil puisse le toucher ou le voir. Harry regarde encore par la fenêtre. Cela fait peut-être plus de vingt fois quil voit la même chose : ce putain de vieux à la canne en bois ; et toujours rien autour. Mais le rien donne limpression de se remplir. Ses dents se resserrent et ses poings se crispent. Harry le sent. Cette présence. Dans lair. Jusque dans sa chair ! Il ferme les yeux une minute pour se réveiller la minute qui suit, se rappelant inexorablement à la mort qui refuse encore de se montrer.
Drin le téléphone sonne pour la première fois de la journée. Harry décroche dun geste brusque. Le majordome lui demande si Monsieur veut dîner ce soir. Il acquiesce par laffirmatif et une envie de pisser le surprend. Harry saccorde avec courage à remuer de quelques mètres, son corps aussi lourd quun monticule de fagot. Chaotique et infini, de la chambre aux chiottes, il est un voyage aux risques multiples. Alors Harry zieute. Il zieute avec méfiance si personne ne se cache derrière la porte entrebâillée de la salle de bain pièce obscure où semble se dessiner de multiples ombres. La survie est dans le toucher vers linterrupteur. Harry sait ça ! Dun geste vif et désordonné, il actionne linterrupteur. La lumière surgit enfin pour en finir avec létreinte des ombres ; la mort disparaissant brusquement dans un halo de luminescence sacré. Il sort alors son chibre et pisse à côté. Les yeux exorbités et la tête retournée en arrière au cas où le BOSS se déciderait à le rencontrer maintenant.

V
Lair est de plus en plus chaud. Fixé à sa chaise, Harry transpire et les mouches lentourent. Un tas de mouches à merde. En harmonie avec cet hôtel poisseux. Partout. Dans le placard. Sous lévier. Collées au plafond et lair qui se raréfie. Il pénètre maintenant de plein ses poumons. Il le sent ! Dans sa trachée encombrée en train de couler lentement. Il sent sa présence. La porte tape. Lil alerté à son maximum, il se retourne bref et sort lentement son pétard de son dos.
- Qui est là ? hurle t- il avec une voix tremblante.
- Cé lé sérviteur senior, jé vous apporte lé dîner.
- Posez-le devant la porte, je viendrai le chercher après.
Entre la chaise et le couloir, il ny a que trois mètres qui le sépare de la gamelle. Mais ce sont trois mètres de trop. Son corps statique a froid. Son ventre crie famine. Et cest de faim quil va peut-être maintenant crever sil ne bouffe pas. Alors Harry sélance dun coup, ouvre la porte et la referme aussitôt sans presque relever la tête. Puis il retombe sur sa chaise. Il na pas touché au plateau du majordome, toujours posé devant la porte. Ses yeux semblent tourner en cercle dans leur orbite. Sa bouche reste grande ouverte, comme si ses lèvres étaient écartelées par une tige de fer fixée de chaque côté. Et il se cramponne nerveusement à sa chaise. « Je lai vu. Il était là ! » Ses dents claquent et ses mains tremblent pareilles à celles du grand boxeur. Dans le couloir, il la regardée du coin de lil, puis cette ombre à lallure humaine sest éclipsée dans le range-balais. Mais ce sont surtout ces mains qui ont formé empreintes dans son esprit. Larges et velues, ces mains ont glissé sur le mur comme si lhomme en noir était guidé par celles-ci comme si le cerveau faisait partie de lauriculaire et que lauriculaire dictait sa loi au monde. Cest alors que des cliquetis provenant du couloir, semblent maintenant sétendre sur le palier pour se transformer en des craquements réguliers. Sa voix ne lui est même plus daucun secours, se disant que le patron ne peut pas savoir encore où il est et que ces bruits ne sont que des bruits de rats. « Putain de rats ! Vont-ils partir ?! Vont-ils partir ?! » Des larmes apparaissent sous les traits marqués de ses yeux. Harry est comme paralysé. Chaque son de derrière la porte retentit comme un coup de massue asséné à sa nuque. « Vont-ils donc partir ? » se dit-il une dernière fois, tout en serrant ses poings autour de sa tête.

VI
Une odeur âcre issue du mélange de pisse et de sueur lui remonte maintenant jusquau nez. Harry se voit comme mort. Il semble flotter au-dessus de son corps et déjà ne plus faire partie des vivants. Puis des coups plus violents que les précédents séchouent sur la porte. Harry hurle de toutes ses forces et se lève dun coup brusque de sa chaise. Mais son corps se détend trop violemment. Il bascule de tout son poids par la fenêtre. La fenêtre explose en mille morceaux. Vingt cinq mètres plus bas, le coup de gong résonne. Etalé sur le toit dune voiture, son cadavre a le sourire aux lèvres. Ses narines semblent enfin respirer. Et ses yeux grands ouverts nont plus rien à craindre.

VII
« Putain de rat ! » Sexclame-t-il. Lhomme qui venait de frapper à la porte, lance un coup de pied en direction des rongeurs venus profiter des miettes de pains étalées dans tout le couloir de lHôtel. Puis dune manière expérimentée, il défonce la porte du poids de tout son corps porté vers lavant sur lépaule droite. Il pénètre dun coup à lintérieur et bondit vers la fenêtre quil vient dentendre se briser. Il nen croit pas ses yeux. Se penchant à la fenêtre, linconnu scrute le corps mort du négociateur. Il tient entre ses mains son passeport pour New York. Harry devait rentrer aujourdhui pour être remercié de son geste. La mort du juif sétait paradoxalement avérée beaucoup plus efficace quune simple négociation. Le BOSS en avait profité pour étendre un peu plus son pouvoir sur la péninsule ibérique. Mais lhomme qui devait ramener Harry vivant a échoué. Il ne lâche pas du regard le visage blafard du macchabée et le contrat est rompu. Lex-négociateur est allongé raide-mort, recouvrant de sa chair la tôle abîmée dune bagnole-standard. Le bad-boy prend ses jambes à son cou et senfuit de lhôtel miteux aussi vite que son corps encombrant le lui permet. Il se met à courir en zigzaguant, titubant comme sil était ivre. Ne sachant point où aller, il sait déjà que le BOSS lépie. Il sent son souffle se poser sur sa nuque. A linstar dune ombre qui se faufile derrière votre dos, il est déjà en train de vous agripper lépaule !
« Je veux pas mourir » gémit le gros baraqué. Et ses larmes coulent à flot. Esprit compressé ! Yeux exorbités et bouches en lamelles ! Ame absente de tout refuge ! Mais y a-t-il donc un sursis au soleil ?




Pour commander HISTOIRES DE CERCLE, adressez-vous aux Editions Marée Dencre eric.vidal22@wanadoo.fr ou bien demandez-le directement à votre libraire.
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