Longtemps pour moi Sonic Youth n'aura été qu'un groupe qui fait une musique prétentieuse et inaudible. J'avais essayé je ne sais plus quels albums de ce groupe et ça m'avait saoulé : une fausse voix qui lit des textes sur des rythmiques minimalistes pendant qu'un type gratouille une guitare et joue faux. C'est donc ça le groupe dont tous les gens cools parlent ? En bref, à oublier.
Puis il se trouve que l'année dernière j'ai vu le groupe sur scène. A Rock en Seine (et gratuitement). Leur prestation (dans des conditions horribles : j'étais à 23 kilomètres de la scène, environ, et je n'entendais presque rien quand le vent soufflait dans la mauvaise direction) m'a fasciné : sur scène il y avait un groupe de quadragénaires complètement survoltés qui a enchaîné des morceaux hyper brefs et très violents, et de longues ballades obsédantes. Il fallait que je réessaie d'écouter ça.
J'ai adoré SONIC NURSE. Puis j'ai exploré leur discographie à rebours. Je pense que WASHING MACHINE est avec leur dernier album le meilleur disque pour approcher ce groupe.
Machine à laver, pourquoi un tel titre ? Sûrement parce que leur musique ressemble par moment au bruit que fait une machine à laver lorsqu'elle essore mes chemises de bucherons à 10 000 tours par minute.
Sûrement l'album le plus essentiel du groupe je trouve (j'écris surtout ça parce que c'est le dernier album que j'ai écouté... si j'avais écouté en dernier DIRTY je dirais ça de DIRTY...). En effet, on y trouve un peu de tout, c'est une sorte de grand bazar, mais très ordonné. Vous vous souvenez, plus jeunes, on écoutait des albums avec deux ou trois bonnes chansons dessus (les singles) et le reste c'était du remplissage. Ben là, c'est pareil, mais à une autre échelle : WASHING MACHINE contient deux chefs-d'oeuvre, et le reste n'est là que pour nous y préparer.
Deux chefs-d'oeuvre donc, sur cet album : le morceau éponyme et THE DIAMOND SEA (comme son nom l'indique).
A côté, une foule de chansons assez ramassées, toutes plus géniales les unes que les autres. Kim Gordon chante sur 4 titres, son mari de Thurston Moore chante sur 4 autres titres aussi (pas de jaloux) et Lee Ranaldo sur 2 titres (l'album compte un morceau instrumental sans titre, une reprise du premier morceau BECUZ).
Les morceaux sont tous très différents, moi qui n'aime pas la musique à guitares j'apprécie vraiment (je déteste ces disques où y'a 11 chansons guitare-basse-batterie qui se ressemblent toutes, le rock c'est mal). Beaucoup de folie avec le morceau NO QUEEN BLUES (hi hi hi hi), ou PANTY LIES. Thurston nous arrache quelques larmes avec sa chanson déglinguée, UNWIND, après nous avoir démoli le cerveau grâce au sublime JUNKIE'S PROMISE (j'ai lu quelque part que cette chanson parlait de Kurt Cobain). Lee Ranaldo est comme d'habitude très peu présent, mais ses interventions sont toujours très chouettes. Tandis que Thurston a un chant complètement désinvolte, on a souvent l'impression qu'il se fout de chanter (sauf sur UNWIND justement, où il s'applique beaucoup je trouve !), Lee Ranaldo tranche avec ses textes poétiques (qu'il dit plus qu'il ne chante du reste), en particulier sur le très beau et exalté SKIP TRACER.
Mais toutes ces super chansons ne sont rien comparées aux deux gros dossiers de l'album.
WASHING MACHINE (9 minutes et quelques...) commence de façon très mélodique (une mélodie tordue certes, mais ça reste mélodique) pour se terminer comme dans une essoreuse, justement. Au milieu, une chanson qui compte deux parties, une première très courte au rythme nerveux et à la mélodie rèche, et une seconde, où le morceau devient post rock. Kim Gordon nous parle (si j'ai bien compris) de son mec qui l'emmène boire une limonade, et de mettre $.25 dans une machine à laver (youpi). Puis solo de guitare apocalyptique, musique qui se désintègre sous nos yeux (parce qu'ici la musique ne s'entend pas, elle se regarde). Et plus le morceau avance, plus ça se désintègre. Et le pire, c'est que c'est trippant, vraiment.
THE DIAMOND SEA. 19'36", il existe par ailleurs une autre version de 25'50" (que je n'ai pas encore écoutée). Comme tous les êtres humains normaux, je ne vois pas l'intérêt d'écouter des morceaux interminables et qui font mal aux oreilles. Pourtant, ici ça marche. Imaginez les Beatles qui enregistrent un album dans le plus pur (non-)style METAL MACHINE MUSIC de Lou Reed, et vous obtenez cette mer de diamant. La chanson commence comme du Pulp : c'est tout doux, c'est hyper mélodique, les guitares ont des effets bizarres mais ça reste doux à l'oreiller. Thurston chante, et les premières minutes sont franchement pop et abordables, diffusables sur NRJ et tout (hum). Et sans que l'on s'en rende compte, tout est foutu en l'air, tout devient flou. Tandis qu'on réalise ah tiens c'est devenu bizarre là... à la septième minute, la chanson redevient traditionnelle (l'élégance avec laquelle la chanson recommence est bluffante !). S'en suivent dix minutes de chaos instrumental, de guitares jouées peut-être n'importe comment, peut-être avec beaucoup de science, je ne sais pas, de bandes rythmiques passées à l'envers, de textures sonores palpables (je suis un sale drogué ou quoi ?). Et moi qui aurait eu tendance à trouver ça ridicule et prétentieux, de faire croire que tous ces sons étaient de la musique, de l'art, je le dis : THE DIAMOND SEA est vraiment une chanson magnifique, yeah.
