Oblomov [roman]

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Protos
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Oblomov [roman]

Message par Protos »

Oblomovisme. Ce terme, prononcé dans ce roman, devint un symptôme psychologique comparable à la procrastination, à la neurasthénie, au manque totale de volonté. Cest dire la portée de ce roman. Rassurez-vous, il sagit bien dun roman et non dun essai de psychologie. Et quel roman ! Ivan Gontcharov a écrit là un bijou, une merveille de la littérature russe. Lauteur, écrivain russe du XIXème siècle, a fait ses études à Moscou, et était déjà connu du public par son roman Une histoire ordinaire, lorsquil écrit en 1859, Oblomov, qui remporta un franc succès national, allant même jusquà influencer Tolstoï.

Oblomov, un jeune propriétaire terrien, se languit dans son appartement citadin, en compagnie de son valet, Zakhar, et de sa cuisinière Anissia. Il se rappel du temps où il était enfant, dans son domaine provincial, entouré daffection, pouponné, choyé ; où lessentiel de la journée consistait à gambader dans la campagne, sans se soucier ni de ses leçons, ni du travail, ni du temps qui passe. Il se souvient, et rêve toute la journée, allongé sur son divan, préférant remettre au lendemain tous les tracas du quotidien. Son but : ne rien faire, comme quand il était enfant, et laisser la vie filler comme en rêve, sans palpitations ni mouvements, sans soucis ni surprises, juste le simple bonheur dêtre, de rêver, bien que cela lennui à mourir. Ilia Ilitch Oblomov est un rêveur, de ceux qui ne se préoccupent pas de la réalité, même si elle venait à se dégrader jusquà la misère. Faute dautre éducation, il ne peut agir autrement. Il rêve, même lorsquil se sait escroqué, même lorsquil sait quil na plus de monnaie. Son ami de toujours, Stolz, à beau tout faire pour le sortir de sa torpeur, Oblomov rêve et paresse. Un événement, une rencontre, bouleversera la vie dOblomov et le fera revenir dentre les songes pourtant ; la lecture du roman nous apprendra si cela aura été suffisant pour vaincre son ennui, sa torpeur, son oblomovisme.

Si au départ, on sourit à la paresse phénoménale du personnage, au fil du roman, on ressent son malaise, tel une incapacité, un handicap terrible, pire que la mort en un sens, puisque cela lui prive de toute la richesse de la vie. On se rend compte de ce que peut engendrer limmobilisme, et le renoncement à agir, à réagir, à résoudre les problèmes que lon rencontre au quotidiens, à la fois matériels, et morales (se lever, payer les factures, sortir de chez soi).
Cest une personne, à qui lon aurait aimé donner des claques, ne serait-ce que pour laider à réagir. Sil ny avait pas eu la rencontre fortuite avec la femme, il naurait rien connu de la vie, jusquà ses derniers jours. Loisiveté est ici tel, quelle lui prive de toute volonté. Son serviteur lui met ses bas, lui enfile sa robe de chambre, lui cherche ses papiers. Il ne fait rien de ses journées, il paresse. Il en oublie quil sait écrire, quil a étudié à luniversité. Les déménagements lui paraissent un cauchemar, tellement il est habitué à regarder son plafond, quil ne pourrait imaginer quil puisse en être autrement. Ce roman nous remet notre propre volonté en question, et nous alarme sur les dangers dune vie paresseuse, oisive, immobile.

Oblomov, qui ne reconnaît pas lhonnêteté de la fourberie, naïf comme un enfant, tel lidiot de Dostoïevski, mais pourtant conscient de sa naïveté. Il ne sait ni ne veut gérer son domaine ; ce serait trop defforts, que de travailler pour soi-même. Non, il faut ne rien faire, que les autres travaillent pour lui, sans quil ait à bouger le petit doigt. Pourtant il a du cur. Il ne pense pas à mal, juste atteindre son idéal dinsouciance, sous la bienveillance de ses proches. La mort, Oblomov ny pense pas, sauf que parfois, il pleur. Parfois Oblomov pleur sur son sort en silence, lors déclairs de lucidité. Mais que faire, lui qui à tout, et na besoin de rien, pourquoi changer ? Na-t-il pas un serviteur, une maison, des revenus de son domaine ? Il ne lui manque plus quune femme.

Oblomov sait que ce nest pas en restant chez lui, quil connaîtra la félicité. Dans son rêve, il vit en harmonie avec une femme, belle, intelligente, toujours souriante. Comment pourra-t-il rendre heureuse une femme dans la réalité ? Lui qui na jamais connu la passion, alors quil se fait vieux garçon ? Ne mènera-t-il pas une jeune fille à la perdition ? Ces questions, Oblomov va se les poser, et il devra choisir entre la vie ou lennui, entre laction et linaction, entre le rêve et la réalité.

Heureusement, il connaît Stolz. Son ami denfance, est tout à lopposé de lui-même. Il agit, et se refuse à tout moment dabandon. Pour lui, linactivité dOblomov est un mal, une maladie, quil nommera Oblomovisme. Il faut agir, pour soi-même et pour les autres. Le rêve ne mène à rien, ce nest quune perte de temps, une illusion, une dérive de la réalité. Il fera tout pour réveiller Oblomov. Allant jusquau bout, il lui dira fatalement un jour, « cest maintenant ou jamais ».

Un roman profond, sans lourdeur, basé sur les caractères des protagonistes plutôt que sur laction à outrance, nous transportant en douceur dans la Russie du siècle dernier, tel un Dostoïevski, un Tolstoï ou un Pouchkine. Une histoire que lon oubliera pas, devenu mythique, qui nous fait prendre conscience que loblomovisme peut nous arriver, si lon ny prend garde.


Oblomov
, dIvan Gontcharov, parut aux éditions Livre de Poche, collection Biblio. 668 pages, 10, http://www.livredepoche.com.
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