Critique cinéma - Mayrig

[Hugo Ruher]

Mayrig.

Henri Verneuil était un cinéaste français décédé en 2002. On le connait surtout pour des films avec Fernandel comme La vache et le prisonnier, ou encore en tant que réalisateur du Clan des Siciliens avec Jean Gabin, Lino Ventura et Alain Delon. Présenté comme ça, Henri Verneuil a tout du cinéaste culte français dans la tradition comme on les aime. Mais ce portrait ferait oublier une autre facette du talent de celui qui est né Achot Melikyan. En effet, le petit Achot est arrivé en France à l'âge de 4 ans après avoir fui l'Arménie avec sa famille, il a ensuite changé de nom, puis une fois doté d'un patronyme plus « français », il a eu la carrière qu'on lui connait.
Mais loin de lui l'idée de renier ses origines, il nous livre au crépuscule de sa carrière un film quasi-autobiographique nous relatant son enfance à partir de son arrivée en France. Mayrig est donc le premier volet d'un diptyque consacré à la vie d'une famille d'immigrés arméniens arrivant en France en 1920, le deuxième volet étant intitulé 588 rue Paradis. Mayrig signifie Maman en arménien, mais le film est tourné du point de vue du fils, Azad Zakarian, depuis son arrivée au port de Marseille. Cependant, le titre n'est pas choisi au hasard et le personnage de la mère apparaît comme une figure de proue, souvent discrète mais indispensable tout au long du film.
Ce qui frappe en premier lieu dans ce film, c'est la véritable déclaration d'amour que fait le réalisateur à son pays natal en proie au génocide perpétré par le gouvernement Jeunes Turcs, tout dans le film transpire « l'arménité », une facette notamment visible dans les scènes de repas de famille. Verneuil épingle également avec humour l'attitude des français moyens qui ne connaissent l'Arménie que de nom, et encore.
J'avoue avoir été un peu refroidi en voyant le nom d'Omar Sharif au générique, que j'imaginais mal en arménien crédible, et vu l'implication du réalisateur, j'aurais imaginé qu'il ne choisirait que des acteurs arméniens. Mais j'avais heureusement tout faux et Sharif est époustouflant en père faisant tout son possible pour contenter sa famille. Claudia Cardinale, dans le rôle de Mayrig est plus en retrait mais chacune de ses apparitions, pleines de simplicité et de retenue est absolument sublime. Et puis il faut aussi souligner le talent de Tom Ponsin, qui incarne Azad dans la plus grande partie du film, et qui malgré son jeune âge se fait facilement sa place parmi les grands. Enfin, une petite mention spéciale pour Patrick Timsit, avec un rôle anecdotique mais vraiment très drôle.
Bien sûr, évoquer l'Arménie fait immanquablement ressortir le traumatisme du génocide, et ce terrible événement est omniprésent tout au long du métrage, pas seulement à travers les scènes de déportation, peu nombreuses mais difficilement soutenables. Tout, dans l'attitude des personnages, dans le boitement d'un ami de la famille ou dans la perpétuelle recherche d'intégration et de respect, nous rappelle ces événements qui ont détruit un pays entier. Pourtant, Verneuil ne recherche pas la pitié, le génocide est une toile de fond qui a forcément une influence sur chaque protagoniste, mais il n'est pas le sujet principal, et le film sait conserver des moments léger et optimiste. Ainsi, la scène où la famille recherche un four pour faire cuire son repas est à la fois drôle bouleversante de simplicité. La douleur du personnage d'Azad vient d'ailleurs davantage du souci d'intégration en France que de la perte de sa patrie lointaine. Mais c'est une douleur qui ne résiste pas à l'amour apporté par sa famille. Une famille unie et aimante dans n'importe quelles circonstances.

Mayrig est donc vraiment un film à voir, un film profond qui fait réfléchir et qui laisse un sourire sur le visage malgré la gravité de l'ensemble. De plus c'est aussi l'occasion de découvrir la culture d'un pays qu'on ignore bien trop souvent.

9/10

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