[url=http://www.affichescinema.com/insc_d/de ... grants.jpg" title="Délits Flagrants]Délits Flagrants[/url]
Réalisation : Raymond Depardon
Genre : Film documentaire
Année : 1994
Durée : 1h45
Particularités : césar du meilleur film à caractère documentaire (1995)
En 1956, deux anglais, Lindsay Anderson et Karel Reisz, lancent le Free Camera qui prône le traitement de la réalité sociale en privilégiant lapproche directe des personnes et de leur témoignage. Délits Flagrants de Raymond Depardon, reprend cette approche de la réalité la plus objective possible. Le film documentaire pénètre lanti-chambre de la justice en filmant les entretiens daccusés avec le substitut du procureur qui doit statuer sur leur éventuelle incarcération.
Le Cinéma Direct
Raymond Depardon a un goût prononcé pour les "exploits techniques". Cest pour cette raison quil a pu mener à bien son sujet. Le secret professionnel et le secret de lenquête ne rendent pas possible lintrusion dune caméra dans un tribunal. Néanmoins, il a eu lautorisation de rompre le huit clos de lanti-chambre qui fait office de phase préparatoire. Ce documentaire a donc été permis sous certaines conditions. Il a fallu que le réalisateur mette au point un dispositif minimaliste qui a été accepté par le Tribunal de Paris. Le choix esthétique rentre dans le domaine conceptuel du cinéma direct. Avant le tournage, le projet renonce à lécriture élaborée dun scénario car il met en avant les rencontres prolongées, les surprise et linattendu des moments directs non contrôlables. Pendant le tournage, luvre prône le filmage de profil de deux interlocuteurs à la fois, sans changer dangle de vue pour ne pas perturber le déroulement de laudition, lutilisation dune caméra peu encombrante et un éclairage afilmique. Le réalisateur a filmé en continu et sans utiliser de clap. Le montage a dû être le travail le plus laborieux comme le montre le générique : 86 personnes ont été filmées et seulement 14 ont été retenues ! Tout ce travail abouti à un réalisme plus ou moins surprenant.
Les frontières de la "réalité"
Se pose dès lors le problème de la dualité entre documentaire et fiction. Daprès Roth, le documentaire serait un film qui montre des évènements qui se seraient déroulés de la même manière sans la présence de la caméra. Néanmoins, on sent constamment la présence de lobjectif : certains accusés sy adressent plusieurs fois ou son mal à laise face à cette présence. Lun des 3 substituts du procureur se retournera même vers cet intrus pendant les explications interminables dun accusé. Du moment que lon demande à laccusé dêtre filmé (tout en conservant son anonymat), il y a une prise de conscience de la présence de lobjectif qui brouille lattitude dune personne qui aurait été différente en labsence de la caméra. Parce que laudience finalement plus à un jeu plus quà une audition judiciaire. Cependant, et cest justement ce qui est le plus spectaculaire, léquipe de tournage se fait peu à peu oublier. Laudition devient plus vive, plus violente et plus expéditive. Cest sans doute ce qui explique les transformations stupéfiantes de certains prévenus. On comprend mieux pourquoi le réalisateur a conservé ces moments plus légers, enregistrés et perçus par les accusés. En jouant sur la longueur, en sattardant sur le destin plus ou moins tragique de ces personnes, Depardon opère un véritable travail de chirurgien su une des formes de l'humanité.
Capter les vérités humaines
Malgré tout ce système de tournage, on reste fasciné par le rapport entre les deux parties et dans lequel le substitut doit faire preuve de patience et découte afin de rédiger en quelques lignes les propos de laccusé. Cet échange place la relation humaine au dessus de la procédure rituelle et distante de laudition. Au fur et à mesure des entretiens, la "personnalité humaine" prend le dessus sur la "personnalité judiciaire". Lhumour face au dossier chargé dun joueur de Bonneteau (De temps en temps, vous passez au palais quand même), les sourires face aux propos aberrants dune femme qui a volé des vêtements, les remontrances tentant de bousculer les interlocuteurs, de les responsabiliser, la volonté de calmer le "mal" dont souffre les accusés par des suivis psychologiques et des cures de désintoxication, mais aussi limpuissance, faute de temps, pousse les substituts à enchaîner les multiples dossiers. Ces entretiens donnent une palette complexe de personnages différents les uns des autres du fait de leur origine, de leur âge, de leur passé de délinquant ou de leur réaction.
La particularité de ce film documentaire est quil emmène le spectateur dans un monde jusque là inaccessible. Le reporter photographe, qui nest pas à son premier essai (Faits Divers en 1983, Urgences en 1987), réussit à capter les émotions authentiques en faisant oublier la caméra introduite pourtant dans un espace restreint. En restant extérieur au système judiciaire (pas de dénonciations), luvre met finalement en avant les valeurs humaines dans toutes leurs complexités et nous offre par la même occasion un documentaire au caractère exceptionnel.
Délits Flagrants [Film Documentaire]
Délits Flagrants [Film Documentaire]
Encore une fois, Belfégore, merci de ta réaction. Tu me permets de pousser un peu plus loin mes réflexions. Et merci aussi pour l'info sur l'expo de Depardon. Ca fait drôle de voir que malgrès moi, j'influence considérablement les programmes TV d'Arte ou les expositions de France
Je te rejoins sur ce point. Lexemple de Moore montre, je pense, que la subjectivité est plus ou moins un gage de "réflexion". Tout dépend de la façon dont elle est utilisée. Mais je dois avouer quun cinéma engagé est toujours plus passionné (et pas forcément dans le bon sens du terme) quun cinéma qui tente dobserver sans utiliser les raccourcis que son la condescendance ou laccusation. Et bien entendu, lobjectivité absolue dans un film est impossible.
Un exemple me traverse lesprit, celui des films expérimentaux de Warhol tels que Sleep ou Empire et dans lesquels le bonhomme plaçait sa caméra fixe sur quelque chose et la laisser tourner pendant des heures (mais vraiment des heures ! En somme : Peter Jackson et ses versions interminables de LOTR, cest de la gnognote à côté^^). On pourrait croire quon est en pleine objectivité, mais en fait, le choix de lemplacement de la caméra induit déjà une subjectivité. Et le fait davoir eu lidée den faire un film révèle aussi une subjectivité, la volonté de démontrer (en plus, dans le cas présent, il me semble que Warhol voulait illustrer la notion du "Tout est artificiel"). Mais ce genre dapproche de la réalité ne correspond pas du tout à lattente du public qui décroche rapidement au moindre passage dun ange. On est bien daccord que lobjectivité nest pas lingrédient premier pour juger de la qualité dun film documentaire.
Par contre, je pense que cest important quun film qui se veut "documentaire" (en tant que témoignage dune des réalités) aborde son sujet avec un minimum dobjectivité. Pas pour que cela soit "sérieux" mais parce que sans sa présence (aussi peu importante soit-elle), linterprétation risque dêtre moins fidèle et trop orientée. Je vais prendre lexemple du réalisme ontologique dAndré Bazin. Pour ce théoricien, le cinéma enregistre mécaniquement la nature et peut donc revendiquer une objectivité indépassable. Pour accéder à cette définition, le cinéma doit répondre à certaines règles. Bazin parle notamment du "montage interdit" (lol sont puissants ces théoriciens). Autrement dit, le travail du monteur doit être le plus minimaliste possible. Cela demande une utilisation privilégiée du plan séquence, par exemple. Cest exactement ce que lon retrouve dans Délits Flagrants. Une volonté dinterférer le moins possible pour rendre compte dune présumée réalité. Evidemment, dans le cas du film de Depardon, il est difficile pour le spectateur davoir une idée de lessence de cette réalité judiciaire car le cadre de son film brise un espace interdit. On ne peut donc que sen remettre à son témoignage filmique.
Si vous avez des pistes de raisonnement sur la subjectivité/objectivité au cinéma, c'est le moment ou jamais de vous lancer dans l'arène.
:P
c'est intéressant comme démarche ; cela dit, je pense que le public pour ce genre de doc est réduit.
j'espère que cette critique attirera l'attention de ceux qui y seront réceptifs. Même si ce n'est pas évident, c'est un enrichissement de se plonger dans des docs un peu incisifs sur notre société.
On ne peut pas se restreindre à proposer à linternaute des critiques sur les films qui rencontrent un grand succès. Ce nest pas représentatif des perles rares qui composent et enrichissent lhistoire du Cinéma. Lintérêt de cet espace de diffusion est de proposer aussi des uvres singulières et assez loin du cinéma pop corn. Cest en tout cas ce que jessaie de faire en présentant des réalisations pas forcément célèbres mais qui mont marqué et que jestime digne de figurer sur un forum aussi éclectique que Krinein. Et pis on sait jamais, je peux toucher quelquun qui na pas lhabitude de regarder ce genre de films et piquer sa curiosité. On peut toujours rêver^^.
il me semble que Depardon a réalisé récemment un autre doc sur le même thème. j'avais vu la bande-annonce au ciné et ca avait l'air bien perturbant de voir ces gens jugés.
Faits Divers traitait déjà de cela. Hum Intéressant ça. Je vais me renseigner.
c'est toujours LE REGARD DE DEPARDON sur la justice ; cela ne me dérange absolument pas, mais comme tu le décrivais, la présence de la caméra, par exemple, influe sur les choses.
Effectivement. Même sil ny a pas de mise en scène (changement daxe de la caméra, cut), la table de montage fait le travail de découpage de la réalité qui sest déroulée dans ce huit clôt. Dailleurs, la séquence concernant celle dun joueur de Bonneteau dure 14 minutes. Les nombreux flash rapides quelle contient montrent que le monteur a dû raccourcir lentretien pour ne garder que les moments "forts". Cela dynamise le film, le rend plus intense. Mais on est quand même bien loin du travail de Michael Moore en matière de film documentaire.
Et comme je sens subtilement, Belfégore, que tu tentes de mentraîner sur le chemin glissant de l'ocularisation ( ) dans les films documentaires
je trouve toujours assez surprenant cette revendication d'objectivité, comme si c'était un gage de sérieux, de réflexion et de qualité.
j'espère que cette critique attirera l'attention de ceux qui y seront réceptifs. Même si ce n'est pas évident, c'est un enrichissement de se plonger dans des docs un peu incisifs sur notre société.
On ne peut pas se restreindre à proposer à linternaute des critiques sur les films qui rencontrent un grand succès. Ce nest pas représentatif des perles rares qui composent et enrichissent lhistoire du Cinéma. Lintérêt de cet espace de diffusion est de proposer aussi des uvres singulières et assez loin du cinéma pop corn. Cest en tout cas ce que jessaie de faire en présentant des réalisations pas forcément célèbres mais qui mont marqué et que jestime digne de figurer sur un forum aussi éclectique que Krinein. Et pis on sait jamais, je peux toucher quelquun qui na pas lhabitude de regarder ce genre de films et piquer sa curiosité. On peut toujours rêver^^.
il me semble que Depardon a réalisé récemment un autre doc sur le même thème. j'avais vu la bande-annonce au ciné et ca avait l'air bien perturbant de voir ces gens jugés.
Faits Divers traitait déjà de cela. Hum Intéressant ça. Je vais me renseigner.
c'est toujours LE REGARD DE DEPARDON sur la justice ; cela ne me dérange absolument pas, mais comme tu le décrivais, la présence de la caméra, par exemple, influe sur les choses.
Effectivement. Même sil ny a pas de mise en scène (changement daxe de la caméra, cut), la table de montage fait le travail de découpage de la réalité qui sest déroulée dans ce huit clôt. Dailleurs, la séquence concernant celle dun joueur de Bonneteau dure 14 minutes. Les nombreux flash rapides quelle contient montrent que le monteur a dû raccourcir lentretien pour ne garder que les moments "forts". Cela dynamise le film, le rend plus intense. Mais on est quand même bien loin du travail de Michael Moore en matière de film documentaire.
Et comme je sens subtilement, Belfégore, que tu tentes de mentraîner sur le chemin glissant de l'ocularisation ( ) dans les films documentaires
je trouve toujours assez surprenant cette revendication d'objectivité, comme si c'était un gage de sérieux, de réflexion et de qualité.
Je te rejoins sur ce point. Lexemple de Moore montre, je pense, que la subjectivité est plus ou moins un gage de "réflexion". Tout dépend de la façon dont elle est utilisée. Mais je dois avouer quun cinéma engagé est toujours plus passionné (et pas forcément dans le bon sens du terme) quun cinéma qui tente dobserver sans utiliser les raccourcis que son la condescendance ou laccusation. Et bien entendu, lobjectivité absolue dans un film est impossible.
Un exemple me traverse lesprit, celui des films expérimentaux de Warhol tels que Sleep ou Empire et dans lesquels le bonhomme plaçait sa caméra fixe sur quelque chose et la laisser tourner pendant des heures (mais vraiment des heures ! En somme : Peter Jackson et ses versions interminables de LOTR, cest de la gnognote à côté^^). On pourrait croire quon est en pleine objectivité, mais en fait, le choix de lemplacement de la caméra induit déjà une subjectivité. Et le fait davoir eu lidée den faire un film révèle aussi une subjectivité, la volonté de démontrer (en plus, dans le cas présent, il me semble que Warhol voulait illustrer la notion du "Tout est artificiel"). Mais ce genre dapproche de la réalité ne correspond pas du tout à lattente du public qui décroche rapidement au moindre passage dun ange. On est bien daccord que lobjectivité nest pas lingrédient premier pour juger de la qualité dun film documentaire.
Par contre, je pense que cest important quun film qui se veut "documentaire" (en tant que témoignage dune des réalités) aborde son sujet avec un minimum dobjectivité. Pas pour que cela soit "sérieux" mais parce que sans sa présence (aussi peu importante soit-elle), linterprétation risque dêtre moins fidèle et trop orientée. Je vais prendre lexemple du réalisme ontologique dAndré Bazin. Pour ce théoricien, le cinéma enregistre mécaniquement la nature et peut donc revendiquer une objectivité indépassable. Pour accéder à cette définition, le cinéma doit répondre à certaines règles. Bazin parle notamment du "montage interdit" (lol sont puissants ces théoriciens). Autrement dit, le travail du monteur doit être le plus minimaliste possible. Cela demande une utilisation privilégiée du plan séquence, par exemple. Cest exactement ce que lon retrouve dans Délits Flagrants. Une volonté dinterférer le moins possible pour rendre compte dune présumée réalité. Evidemment, dans le cas du film de Depardon, il est difficile pour le spectateur davoir une idée de lessence de cette réalité judiciaire car le cadre de son film brise un espace interdit. On ne peut donc que sen remettre à son témoignage filmique.
Si vous avez des pistes de raisonnement sur la subjectivité/objectivité au cinéma, c'est le moment ou jamais de vous lancer dans l'arène.
:P
Délits Flagrants [Film Documentaire]
Et pis on sait jamais, je peux toucher quelquun qui na pas lhabitude de regarder ce genre de films et piquer sa curiosité. On peut toujours rêver^^.
Ben dans un autre genre mais sur une critique de toi, j'aurais jamais regardé Johnny got his gun si tu n'en avais pas parlé. Ce n'est plus un rêve, c'est la réalité...
:kwak:
Phrase pour éviter le 100% HS : Bon, ensuite je n'ai pas le temps, ni les conaissances précises pour parler de la subjectivité dans les documentaires...Désolé.
Délits Flagrants [Film Documentaire]
...Mais aussi les programmes de France 3NostraDaggy a écrit :Ca fait drôle de voir que malgrès moi, j'influence considérablement les programmes TV d'Arte ou les expositions de France
Je viens de voir que Délits Flagrants sera diffusé ce Lundi 4 Avril à 23h25 sur France 3. Cette programmation fait plaisir à voir ! Evidemment, je vous conseille vivement ce documentaire exceptionnel et vous invite à venir nous dire ce que vous en avez pensé.
:)
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