
Mais qu'en est-il de sa vie? De sa famille? De ses amours? De l'évolution de son art? etc...
Le cinéma s'est penché sur cet artiste à part, par l'intermédiaire de Peter Watkins, célèbre notamment grâce à Punishment Park. Ce film sur Munch datant de 1973 et d'une durée de presque trois heures bénéficie d'une ressortie sur certains écrans français ces derniers temps. Et c'est dans ce contexte que j'ai eu l'occasion de le voir.
Loin d'une biographie linéaire, sans âme, Watkins nous montre la vie de Munch sous plusieurs aspects qui s'enchevêtrent, ce qui peut destabiliser le spectateur au départ.
Watkins se penche d'abord sur les faits avérés de la vie de Munch : la mort de sa mère et de sa soeur toutes deux emportées par la tuberculose alors que Edvard n'avait que 5 ans (la mort de sa soeur notamment lui inspirera plusieurs tableaux). Ces deux événements se retrouvent souvent dans le film, de constants flashbacks pour expliquer presque la folie de Munch. Une folie qui a peut-être débuté par la fréquentation des clubs anarchistes norvégiens. Dans sa famille protestante puritaine, ces faits ont été plutôt mal pris, comme du reste sa liaison avec une femme mariée, présentée dans le film comme sa muse.
Une muse qui lui permettra en partie de s'émanciper de sa peinture conventionnelle. Même si Munch est reconnu en Norvège pour ses premières oeuvres, un simple tableau (Une jeune fille malade) lui fera subir les pires critiques par des critiques justement bien conventionnels. Cette peinture est une représentation de sa soeur malade sur un lit avec sa mère à ses côtés. Dans plusieurs accès de génie (ou de folie?), Munch tailladera son oeuvre pour exprimer ses sentiments les plus profonds. La caméra de Watkins devient à ce moment tel le pinceau de Munch un ciseau, un couteau et tranchera dans le vif. Et cette symbiose entre la caméra et le pinceau qui rend le film si exceptionnel. La caméra et le pinceau semblent ne faire qu'un quand Munch est sur sa toile. Plus tard, lorsque Munch diversifie ses supports (passant de la peinture à la lithographie, à la xylographie avec presque autant de talent), la caméra est toujours là pour suivre le travail de l'artiste : le moment de l'encrage de la lithographie en est un bon exemple.
Cet aspect descriptif de l'oeuvre de Munch (plus d'un millier de peintures, 15000 eaux-fortes, 4500 aquarelles et dessins, lithographie, gravure sur bois etc...) se retrouve aussi dans l'évocation de la société norvégienne de l'époque. Non content de rester sur la vie, certes remarquable de Munch, Watkins se penche aussi sur une époque, la fin du XIXème siècle. Il décrit la misère qui sévit dans les familles pauvres, les enfants étant obligés de travailler 11 heures par jour tandis que d'autres meurent de la tuberculose. Il décrit aussi la société bourgeoise de l'époque insensible à ses concitoyens. Une description qui est renforcée par des témoignages de nombreuses personnes, ce qui ancre le film dans une réalité et le rapproche du documentaire. Ainsi sont interrogés la famille de Munch, certains de ses "amis", mais aussi sa servante dévoilant la vie des pauvres, et bien sûr les critiques de Munch, ceux qui verront dans son oeuvre, "'oeuvre d'une personne au bord de la maladie mentale qui hallucine comme dans des accès de fièvre". Ou comme le dirait un autre critique bien-pensant : "Munch ne devrait être exposé que s'il était sur le point de mourir de faim".
Finalement Watkins en nous présentant la vie de Munch avec ses peurs, ses espoirs, ses avancées artistiques nous décrit aussi la vie dans ce nouveau siècle qui commence. Une vie trépidante marquée par la montée de l'Empire de Prusse (?), la création du pistolet-mitrailleur ou bien d'autres faits qui sont énoncés dans le film comme autant de jalons historiques. Et l'on retombe sur l'oeuvre la plus connue, ce "Cri" qui retentit devant l'horreur de ce nouveau monde, qui certes va délaisser la misère d'autrefois (Munch laisse derrière lui les souvenirs de la tuberculose) mais qui se dirige vers quelque chose d'encore plus désagréable (on peut penser aux futures Guerres Mondiales, au développement industriel). Un nouveau monde que seul Munch aurait prévu et qu'il aurait extériorisé dans ce Cri qui nous frappe encore aujourd'hui...
Note : 10/10