
Combien d’entre nous hurleraient de crainte ou de dégoût à
la simple vision d’une toute petite bête à 6 ou 8 pattes, à plus forte raison
si elle est couverte de poils et/ ou bourdonne sournoisement à nos
oreilles ? Et bien c’est sans compter sur le talent de deux jeunes
concepteurs français, Thomas Szabo et Hélène Giraud, qui nous livrent avec
finesse, tendresse et humour une des séries d’animation les plus réussies dans
ce domaine.
A la genèse de ce projet, il y avait un simple court métrage
narrant les aventures d’une mouche « des poubelles », pas du tout
destiné à faire des « petits ». Puis la réussite et l’accueil
enthousiaste de cet objet leur a permis de concocter un format plus long sur le
même thème : la série. A travers 78 épisodes truculents et à la durée très
courte (5 à 6 minutes), une minuscule vie nous est dépeinte, dans les moindres
détails. Sur la base des comportements réels et typiques de chaque petite bête,
les personnages récurrents cohabitent, flirtent et papillonnent, se disputent,
et même parfois se jouent de vilains tours pendables.
Les scénarios, illustrant davantage des mini saynètes que de
réelles intrigues, s’attachent donc chacun au caractère d’un insecte en
particulier. Voire parfois de deux ou trois bébêtes quand la confrontation avec
d’autres personnalités permet de tisser un portrait plus fidèle, plus
caricatural, ou tout simplement plus amusant ou attachant. Il y aurait même
comme une volonté d’humaniser un peu les bestioles pour nous les rendre
reconnaissables entre mille, et un peu plus proches de nous.Chaque
insecte, arachnide ou gastéropode garde au fil des épisodes sa
personnalité : le côté mollasson de l’araignée, l’aspect mutin de la
coccinelle, la dévorante voracité de la chenille, la méticulosité de la fourmi…
Nous connaissons tous la principale qualité de cette dernière, qui se gausse
d’ailleurs allègrement du défaut de sa voisine, la cigale. Un épisode traitera
de cet antagonisme, toujours avec humour, comme l’avait jadis fait ce cher La
Fontaine.
Comment chassent les araignées ? Comment les abeilles
récoltent-elles le pollen des fleurs ? Comment la chenille devient-elle
papillon ? Autant de questions qui trouveront une réponse, à la fois
pédagogique et poétique, dans chacune des séquences de Minuscule. Car
avant tout destinée à un public en culotte courte, la série reste évidemment
très instructive, éveillant la curiosité pour la Nature, ses trésors et ses
secrets. Mais là où l’on attendrait une vulgaire simplification et un
commentaire en voix off expliquant le pourquoi du comment (comme la plupart des
documentaires animaliers) on trouvera de petits sketchs à la Tex Avery,
plus minimalistes que ceux-ci, mais moins convenus, plus décalés que le
correspondant Disneyien 1001 pattes. Ce qui ouvre ainsi la porte à un
autre public, plus adulte, qui devrait se régaler du second degré omniprésent. Le durée très courte d’un épisode est donc celle qui sied le
mieux au ton enlevé de la série. Un autre format aurait dénaturé le propos. A
ce titre, la multitude d’épisodes de la saison a peut-être été aussi
surestimée : certaines péripéties sont un peu redondantes même si chaque
fois les petites nuances de situation, de décor ou de personnage apportent un
léger supplément.
Avec une maîtrise harmonieuse, la série mêle images 3D et
décors réels. Les petits protagonistes volants ou rampants sont réalisés dans
une 3D rondouillarde, puis ils sont intégrés dans les vidéos tournées en pleine
nature par l’équipe technique. L’assemblage est retravaillé ensuite en post
production, puis mâtiné d’un filtre légèrement jauni. Les personnages évoluent
en parfaite adéquation avec l’environnement qu’on leur offre, sans aucun
défaut d’incrustation : ombres portées, reflets et effets de lumière,
interaction de l’animal avec le décor supervisée avec soin. Rien n’est laissé
au hasard grâce aux story-boards très détaillés. Bien que diversifiés, les décors uniques (intérieur de
maison, champ de blé, rivière, terrain désertique et rocheux, pré…), ne sont
toutefois pas encore assez nombreux pour balayer l’ampleur du terrain visité
par nos Minuscules, à notre grand regret.
Mais le souvenir que l’on garde surtout après avoir butiné
les épisodes de la série, c’est cette imagerie aux couleurs magnifiées,
légèrement passéiste, que l’on avait déjà rencontrée chez Amélie Poulain. Cette nuance se fait d’autant plus sentir lorsque l’on
regarde rétrospectivement le pilote de la série et le court métrage qui lui a
précédé (présent dans le coffret DVD). La même histoire, les mêmes personnages,
mais filmés alors de manière artisanale. Avec la naissance de la série, la
démarche singulière de ses créateurs a pris son envol, puis s’est gracieusement
posée lorsque l’équipe a acquis des moyens plus conséquents. Pour le plus grand
plaisir de nos yeux.
Pour accompagner ce melting-pot court sur pattes, saluons un
environnement sonore à la fois juste, doux et discret. D’une part, les
partitions minimalistes et joviales essentiellement pour piano - signées Hervé
Lavandier (également compositeur de la musique de Tous à l’ouest : une
aventure de Lucky Luke), viennent souligner l’espièglerie ambiante. D’autre
part, les bruitages, réalisés avec bonne humeur par toute l’équipe, sont tout
simplement fondés sur les analogies de formes et de sons que leur évoquent les
insectes : les bruits d’avion, d’hélicoptère, de marteau, mais aussi les
ronflements et bruits de bouche font office de langage universel au pays des Minuscules.
Ce qui contribue d’ailleurs beaucoup à l’énergie comique des situations. Aucune
parole humaine à l’horizon, ce choix judicieux rend d’ailleurs
l’humanisation évoquée ultérieurement plus instinctive, évitant ainsi l’écueil de
la caricature anthropomorphe que l’on retrouve justement chez un Disney.
Comme vous l’aurez compris, Minuscule est un joli
coup de cœur en terme de série d’animation. Ce tout petit bijou allie la
réussite d’une démarche pertinente, sensible et drôle à une maîtrise technique
impressionnante, surtout si l’on considère que l’équipe est d’une taille plutôt
familiale. Visant en premier lieu un public très jeune, son deuxième niveau de
lecture, plus absurde, appâte sans aucun souci les plus âgés. Au cours des 78
épisodes, on commence même à se prendre d’amitié, voire à s’identifier tantôt à
la coccinelle coquine, tantôt à l’escargot futé, tantôt à l’araignée maladroite
mais attachante… Sous-titrée « La vie privée des insectes » et
diffusée d’abord sur France 2, la série complète est sortie dans un joli
coffret de 4 DVD chez Futurikon. En bonus, on s’offre le making of, quelques
story-boards complets (très instructifs) et des animatiques 2D, les recherches
graphiques des personnages principaux, par Hélène Giraud, et enfin le
court-métrage original au titre tout aussi poétique : Mouches à merde.
Alors si vous souhaitez prolonger chez vous le plaisir
d’une promenade champêtre, ou tout simplement découvrir les preuves que nos
voisins lilliputiens ne sont pas si
différents de nous, je vous invite à plonger très vite dans l’univers délicat
de Minuscule !

