Voici un article très intéressant qui dresse un portrait de Gérard Lhéritier, collectionneur d'autographes, président de la société Aristophil et fondateur du Musée des Lettres et Manuscrits.
Ce document est paru dans le Journal de Saône-et-Loire et Le Bien Public (http://www.bienpublic.com/actu/region/20090322.BPA4798.html).
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Gérard Lhéritier
Il y a quelques mois, le manuscrit du « Manifeste du Surréalisme » d'André Breton, accompagné du manuscrit d'un autre texte fondateur du mouvement surréaliste, « Le poisson soluble », étaient ensemble adjugés à Paris pour 3,2 millions d'euros. L'acquéreur, pour la société Aristophil, était M. Gérard Lhéritier, étonnant collectionneur d'autographes et fondateur du Musée des Lettres et Manuscrits. Parmi ses trésors : 503 lettres de Napoléon, le manuscrit préparatoire de la « Théorie de la Relativité Générale » (Michele Besso-Albert Einstein), trois ou quatre malles de manuscrits de Lamartine, etc. Invitation à trois petits tours dans une caverne d'Ali Baba.
L'homme est étonnant. Sa collection plus encore... Vous êtes un journaliste bourguignon. Il vous a donné rendez-vous au siège de la société Aristophil, qu'il a créée et installée 120, avenue des Champs-Elysées à Paris, avec comme raison sociale l'achat de documents anciens. À l'accueil, avant d'entrer dans son bureau, un tableau accroche votre regard. C'est Le moulin de la galette, l'une des plus belles gouaches sur papier de Maurice Utrillo. Impressionnant.
Vous entrez donc dans le bureau de Gérard Lhéritier, collectionneur de manuscrits, impressionné. Lui est détendu. Tout sourire. Il attend votre première question.
- Monsieur Lhéritier, possédez-vous des manuscrits de quelques Bourguignons célèbres ? Bossuet ? Gaspard Monge ? Lazare ou Sadi Carnot ? Mac-Mahon ? Lamartine ?...
- Lequel, ou lesquels, de ceux-ci souhaitez-vous voir ?
Vous avez compris : les Carnot, les Monge, les Bossuet, les Lamartine (et les autres), Gérard Lhéritier les a tous.
Optons pour Lamartine. La simple énumération des manuscrits (et autres papiers) de notre grand poète bourguignon, aujourd'hui propriété de la société Aristophil, occupe plusieurs pages. Il y a là, répertoriés, le manuscrit du Chant du Sacre, d'importants fragments de Jocelyn (les époques 4 et 5), quatre gros manuscrits pour L'histoire des grands hommes : Périclès, William Pitt, Lord Chatham », le roman Fior d'Aliza (432 pages plus brouillons), les 2 900 pages de L'Histoire de la Turquie, les 800 pages de L'Histoire de la Russie, des articles politiques sur le système pénitentiaire, l'athéisme et le peuple, le transport des condamnés politiques, l'abstention aux élections... et des kilos de lettres reçues (3 500 au total)... et des kilos d'archives sur le séjour de Lamartine comme attaché d'ambassade à Naples, puis comme chargé d'affaires à Florence...
Vous ne saviez pas que Lamartine avait écrit tout ça ? Moi non plus avant de rencontrer M. Lhéritier.
Et la collection Lamartine n'est que l'une des centaines de « pièces rares » aujourd'hui en possession de la société Aristophil.
Car on trouve aussi, dans cette collection, 503 lettres de Napoléon, le manuscrit préparatoire à la rédaction du texte d'Einstein sur la relativité générale, le dernier jet d'Hernani, après que Victor Hugo l'eût corrigé suite à la censure royale, et toute une collection de cahiers du grand mathématicien français Henri Poincaré...
Un rapide examen de ces quatre séries d'objets laisse presque sans voix.
Les 503 lettres Napoléon ont été achetées, de gré à gré sans passer par une salle des ventes, à un Américain qui avait mis sa vie pour les rassembler et souhaitait vivement les transmettre sans qu'elles soient dispersées. Il y a là de nombreux documents relatifs à la guerre et à la diplomatie, mais aussi une lettre d'amour (écrite par le jeune Bonaparte, à 17 ans) et les derniers écrits de l'empereur déchu, à Saint-Hélène. Entre autres un traité, avec dessins, montrant comment on pouvait fortifier l'île anglaise. Tous ces documents ont été, après leur acquisition, rapatriés en France et les plus significatifs d'entre- eux ont été présentés quelques semaines, à la fin de l'année 2008 et au début de l'année 2009, aux Invalides : 200 000 visiteurs les ont vus.
Le manuscrit préparatoire à la rédaction du texte d'Einstein sur la relativité générale est un manuscrit de 56 pages, à quatre mains, Einstein ayant travaillé, sur le sujet avec le mathématicien italien Michele Besso. Il s'agit d'un document d'une importance capitale pour les chercheurs en histoire de la physique et que très peu d'historiens avaient vu avant son acquisition par Aristophil. Ces pages ont fait l'objet d'un tirage très restreint (quelques dizaines d'exemplaires) en fac-similé total, avec vieillissement artificiel, reproduction des défauts du papier et même des découpes.
Le dernier jet d'Hernani, corrigé de la main de Victor Hugo, présente également un intérêt historique incontestable, parce qu'on se rend compte, en examinant la première page, que le rejet de l'adjectif « dérobé » au début du deuxième vers, qui provoqua le déclenchement de la « bataille d'Hernani », est en fait une correction de toute dernière minute de l'auteur. Un remord in extremis. À quoi tient l'avenir ?
Quant aux cahiers (sept ou huit cahiers des années 1880 et 1890) d'Henri Poincaré, ils constituent aussi des jalons importants pour écrire l'histoire de la physique, et notamment l'histoire de la relativité puisqu'on sait qu'il y eut polémique, pendant un temps, sur la naissance de l'idée de relativité, certains en voyant les prémices dans les travaux de Poincaré, quelques années avant qu'Einstein la révèle au monde, en 1905.
Ces quatre exemples sont révélateurs de l'esprit qui anime Gérard Lhéritier dans la constitution de ses collections qui comptent aujourd'hui plusieurs milliers de documents.
Il recherche les documents essentiellement pour leur valeur historique, les documents « fondateurs » (comme les trois derniers qu'on vient de citer, et le Manifeste du Surréalisme, mais aussi les documents auxquels s'attache un fort pouvoir qu'on va qualifier de sentimental. Les lettres de Napoléon, bien qu'elles aient aussi une forte imprégnation historique, seraient par exemple à classer plutôt dans cette seconde catégorie.
Maintenant, vous vous posez peut-être une question : comment devient-on collectionneur à ce niveau.
« Je n'ai pas commencé par être collectionneur, explique Gérard Lhéritier. Quand j'ai eu 17 ou 18 ans, je ne me sentais pas fait pour les études. Ni pour devenir artisan ; mon père était artisan. Ma mère m'a dit : Mon fils, entre dans l'armée, tu finiras général !... C'est ce que j'ai fait. J'ai arrêté mes études au milieu de l'année du bac et je me suis engagé... J'en suis sorti au bout de six ans, quand j'ai vu que l'armée n'était pas non plus un métier pour moi. Alors je me suis mis à mon compte, tout seul. J'ai ouvert un petit cabinet d'assurance pour les militaires des forces françaises en Allemagne. Puis j'ai créé une petite société qui m'a permis de rentrer dans le monde de l'art ».
À partir de là, les choses sont allées assez vite. Et une passion est née.
C'est, en 1986, en cherchant un timbre rare pour son fils que Gérard Lhéritier est tombé, devant un magasin parisien, sur l'histoire des... ballons montés.
Explication : « En vitrine, dit-il, il y avait une petite enveloppe ancienne et une étiquette indiquant qu'elle était parvenue à son destinataire via un... ballon monté. J'entre dans le magasin. Je questionne le marchand et je l'entends me raconter une histoire à la Jules Verne : cette enveloppe était sortie de Paris, pendant le siège de 1870, dans la nacelle d'un ballon. J'ignorais tout de cela ; pour tout dire, j'étais un peu vexé ; le marchand m'a tout raconté : l'idée de Nadar, photographe célèbre mais aussi aérostier, qui était allé, pendant le siège de Paris, trouver Gambetta, pour lui proposer de faire sortir du courrier au moyen de ballons... Gambetta accepta et soixante-sept ballons furent construits, entre le 19 septembre 1870 et le 27 janvier 1871, à cette fin. La lettre qui était dans la vitrine, et que j'acquis, s'était - envolée - sur le ballon nommé Davy, le 17 décembre 1870 ».
Un bonheur ne vient jamais seul. Quinze jours après avoir découvert l'existence des « ballons montés », Gérard Lhéritier entend parler des boules de Moulins. Les boules de Moulins fonctionnèrent aussi pendant le siège de Paris, comme les ballons montés pour transporter du courrier, mais avec deux différences essentielles : elles circulaient dans l'autre sens, de l'« extérieur » vers Paris, et non pas dans les airs, mais sous l'eau (voir ci-contre leur mode d'emploi expliqué en images). On les appelait « de Moulins » tout simplement parce qu'elles étaient fabriquées à Moulins (Allier). On en fabriqua et on en mit à l'eau 55. Trente, à ce jour, ont été retrouvés, certaines il n'y a pas très longtemps... La poste, dans ce cas-là, s'efforce d'acheminer les lettres jusqu'au... bout, c'est-à-dire, quand elle peut les retrouver, vers les descendants des destinataires. Car les destinataires, bien sûr, sont morts depuis quelque temps.
... Un peu plus tard, Gérard Lhéritier découvrira les « Gravilliers ». On appelle ainsi les lettres qu'un chimiste parisien, de la rue des Gravilliers, expédia (par de tout petits ballons d'enfants) à l'élue de son cœur.
Puis il découvrira les « papillons de Metz », des lettres envoyées aussi par petits ballons (d'un mètre cube environ) pendant le siège de Metz, quand le général Bazaine était enfermé là-bas avec ses troupes.
C'est avec ces « découvertes », faites il y a une petite vingtaine d'années, que Gérard Lhéritier est devenu un collectionneur « accro » de manuscrits.
Comme cet homme a manifestement le sens des affaires, il a réussi à intervenir sur à peu près tous les marchés du monde, publics ou privés, pour enrichir ses collections et en faire profiter les actionnaires de sa société Aristophil.
Au début, il achetait en milliers d'euros.
Quelques années plus tard, il achetait en dizaines de milliers d'euros. Puis il est passé aux centaines de milliers d'euros. Aujourd'hui, si le challenge en vaut la peine, il sort des millions d'euros (3,2 millions pour le Manifeste du Surréalisme et Le poisson soluble ). 3,6 millions avec les frais.
... On dit qu'il est actuellement sur deux affaires « énormes », touchant deux manuscrits français « historiques ».
Le scoop est pour bientôt.
Michel LIMOGES
http://www.bienpublic.com/actu/region/20090322.BPA4798.html
Portrait de Gérard Lhéritier de la société Aristophil
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